Projet
Avoir envie d’un film, le mettre en œuvre, et le perdre de vue, perdre sa vision !
Peut-être cette phrase résume-t-elle assez bien ma situation vis-à-vis du « film » que je viens questionner ici avec pointligneplan, c’est d’ailleurs une aubaine pour La Fabrique des films ; un film qui ne sortira peut-être pas de sa fabrication… Voilà maintenant plus d’un an et demi que je monte ce film, le démonte, le laisse, le reprend…
J’étais partie en Palestine en 2009 avec l’idée d’un film incluant des photographies. J’avais besoin pour ce territoire d’un arrêt, une pause, une possibilité de scruter. J’avais besoin de ne pas glisser sur les images sans les avoir fixées sur l’écran et reconsidérées par le mouvement de la caméra.
Étrangement, cette idée d’images arrêtées s’est perdue dans l’image de ma fille, actrice de ce film, devenue centrale au fil des montages successifs. Je me suis perdue dans la narration de mes personnages. Cette narration devenait le sujet du film mais elle me semblait pauvre, sans que j’en comprenne la raison ! Généralement, mes personnages –ici le duo d’un marionnettiste et sa marionnette et d’une jeune Française de 13 ans– sont les passeurs des lieux. Jamais la narration ne devient le sujet du film, elle est toujours prétexte à des traversées qui déplient un territoire. Mais il y a des périodes où l’on devient aveugle, et sourd, et muet…
Tout simplement la nécessité de ce film concernait une reconnaissance visuelle de la Palestine. Mais petit à petit, mon entendement est revenu, aidé par un travail photographique traversant les sept villes palestiniennes qui viendra en partie prendre place dans le film. Le sens a refait surface, en tout cas pour moi, et je suis aujourd’hui dans un mouvement de remise à zéro du montage. Pour une fois, je veux me faire accompagner. Remettre ce film entre les mains d’une monteuse n’est pas simple. Mais Dominique Auvray est aussi une artiste. Je lui ai laissé mon film comme une épave : elle a accepté, elle a reparlé des photographies, les a ramenées à la surface.
Les images de paysages prendront souvent le temps de s’arrêter, le temps d’une photographie. Il est important de ne pas passer trop vite sur ce territoire, il est chargé de notre histoire, de nos mémoires. Mais j’avais besoin d’un contrepoint, et le duo de personnages va tenter la frivolité comme remède au drame. Une légèreté qui peut paraître une offense à la réalité de cette terre. Pourtant là-bas, cette frivolité est la marque d’une population qui n’a que ça et beaucoup se soulagent avec la formule magique « This is life ». Pas besoin de s’en soucier, la vie va son cours de toute façon. L’important est de savoir la prendre avec toute la légèreté possible, un présent vécu où chaque goutte de joie est savourée. Le duo de personnages et la marionnette vont traverser ce film dans cet état d’esprit, créant une sorte de malaise sans raison apparente.
L’idée de présenter les éléments invisibles de la fabrication d’un film est intéressante lorsqu’on laisse la part d’intuitions, de hasards qui font que la vie vous emmène et contribue à l’évolution des projets. Cela aussi tient de la fabrication, mais dans l’ombre, les coulisses. Un sens hors de votre volonté, peut venir s’immiscer dans vos affaires ! Et si les Palestiniens disent souvent « This is life », je peux dire aussi que le vivant vient souvent déstabiliser des certitudes d’artistes pour leur donner des leçons de sens !!! J’aime cette dimension du travail, même si elle procure des moments d’angoisse.
L’idée de ce film désorienté résonne étrangement au côté d’un pays en mal de reconnaissance. Tout ceci m’a laissé longtemps dubitative car je ne veux pas montrer un quelconque conflit mais plutôt, en déniant la présence de l’occupant, reconnaître une existence à ce pays. Pourtant, depuis le début, je vis un conflit dans la fabrication de ce film, il remonte à la surface !