La Fabrique des films – Process

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Ces textes sont issus de courriers électroniques et de retranscriptions de séances de travail pendant la préparation de l’exposition entre les mois d’octobre 2011 et janvier 2012.

// Christian Merlhiot
À l’origine de ce projet il y a le désir d’organiser une série de conférences, ou de performances, l’idée de rendre compte d’un moment de cinéma en direct, pas forcément avec des images, pas forcément sous la forme de récit, comme un film en kit reconstitué à partir des éléments de travail, des éléments de production, de préparation, des éléments de réflexion… Ce moment de présentation, le seul endroit où l’on a réussi à le rendre possible, c’est dans un lieu d’exposition. La Fabrique des films intègre donc cette double temporalité : d’abord un séminaire où chacun déplie la documentation sur son travail et ensuite, la présentation de ces documents pendant l’exposition. Les films, eux, ne sont pas dans l’exposition. Il s’agit d’exposer l’origine des films, pas les films. Exposer tous les vêtements qu’un film a portés.

// Christelle Lheureux
Cela me fait penser à  l’exposition des restes d’une fête de Philippe Parreno, Snow Dancing, 1995. Raconter l’expérience du film, à un absent de sa fabrication.

// Jean Breschand
Je pense qu’il faut rester sur le récit, sur le fait que chacun est invité à raconter un moment de son travail à partir d’un exemple précis. Il faut rester dans une demande humble. Ou simple. Il faut éviter un certain nombre d’obstacles. À partir d’un exemple précis, il s’agit juste de se raconter comment on travaille. Je crois qu’il faut aller à la rencontre d’un récit. Raconte-moi comment tu as fait pour tel film, telle séquence, tel moment. Pour autant que ce moment ait été important pour soi dans la réalisation du film. Il faut élire quels sont les moments qui ont été éclairants pour soi. Je pense à l’exposition de Brancusi à Beaubourg. J’ai vu quelque chose que je n’imaginais pas de son travail. Et rien que cela, c’est très intéressant. Le rapport à la danse et aux carlingues d’avion. Je ne m’étais jamais posé la question. Maintenant que je le sais, cela me paraît évident.

// Christian Merlhiot
Au début, avec Jean Breschand, on a commencé à réfléchir à partir d’un texte où il s’interrogeait sur les méthodes de travail de l’artiste. On s’est demandé comment rendre visible des éléments que le film, dans sa forme achevée, a complètement recouverts. Que se passe-t-il si on remonte le cours d’un film vers les premières idées, les premiers lieux ? De quelle manière le film révèle ses différentes strates de travail ? Il ne s’agit donc pas de séances de projection mais de récits de travail. Parler d’une trajectoire et d’un parcours à travers de la documentation. Se pencher sur un objet pour le raconter…

// Alain Declercq
Il ne s’agit donc pas forcément du décryptage d’un film existant, mais d’une construction ?

// Christian Merlhiot
La proposition est ouverte, mais c’est un moment qui n’appartient pas à l’économie du cinéma. Il a lieu une seule fois et se dépose à travers la documentation. Il s’agit de faire, à propos du cinéma et de sa pratique, quelque chose d’autre qu’un film. Un moment d’énonciation, une expérience de cinéma élargi.

// Érik Bullot
La Fabrique des films se propose d’exposer le processus d’un film passé ou à venir, de relater les étapes du travail, de donner à voir et à comprendre un procès. Fidèle à ce projet, le catalogue a pour enjeu de documenter les réflexions préalables à l’exposition en insistant sur le processus de travail. Non pas un catalogue a posteriori, définitif, doté de textes critiques en surplomb confiés à un spécialiste, tendus vers un effort de synthèse, mais une documentation sur les doutes, les échanges, les termes du débat, par les artistes eux-mêmes. J’ai en mémoire l’un des éléments du catalogue de l’exposition Les Immatériaux (Centre Pompidou, 1985, commissariat Jean-François Lyotard), intitulé Épreuves d’écriture. Il s’agit d’une expérience pionnière d’écriture collective, qui eut lieu avant l’exposition, où chacun des vingt-six auteurs était invité à écrire sur un ensemble de thèmes définis par un mot. Chaque auteur proposait une définition du thème et réagissait à celle des autres. Pour ce faire, les ordinateurs des auteurs étaient configurés en réseau, peu avant l’apparition d’Internet. L’ensemble des échanges était consultable dans l’exposition sur Minitel et publié ensuite. Ce dispositif ne laisse pas d’être intéressant. Il est étonnant d’ailleurs d’observer que de nombreux échanges sont relatifs au dispositif technique lui-même.
Exposer le processus est-il une opération naturelle ? Cette insistance sur la préparation n’est-elle pas le symptôme d’une transformation du cinéma lui-même ? L’un des cinéastes contemporains qui aura sans doute incarné par excellence la nature processuelle du film, au point désormais de réaliser une sorte de film infini, à jamais inachevé, qui se confond avec sa propre expérience, s’appelle Boris Lehman. Il écrit dans le dernier numéro de Trafic : « Et bien moi, je ne peux pas me détacher de la plupart de mes films, je dois être là, les projeter moi-même, voir mon public et la salle. C’est peut-être maladif, le film est une partie de mon propre corps, il serait incomplet sans moi. La projection se vit donc comme une performance. Chaque projection est différente, parfois je bonimente, j’amène des musiciens, on finit par boire, manger et discuter, les spectateurs font partie intégrante du film. » (Être quelqu’un ou n’être rien, Trafic 79, p. 26). Cette remarque m’a frappé. Je ne peux m’empêcher de relier le caractère processuel du film à sa dimension performative. « Dénuder le procédé » transforme le film en performance.

// Christian Merlhiot 
Quelque chose de performatif revient dans le cinéma aujourd’hui. Par exemple, lorsque nos films sortent en salle, leur valeur n’est jamais aussi grande que lorsqu’on est là pour les présenter. Pour voir les films classiques, on n’a jamais eu besoin des réalisateurs. Mais nos films sont fragiles et les meilleures séances sont celles où le réalisateur est annoncé – comme s’il était une sorte d’oracle, une voix qui libère le film des inquiétudes du spectateur. Il réapparaît comme une figure centrale alors que pendant longtemps le film voyageait seul, sans les acteurs, sans l’équipe. On rejoint le théâtre qui voyage avec ses interprètes. On réinterprète le film à chaque séance.

// Christelle Lheureux
C’est peut-être lié à l’évolution des modes de diffusion. On peut voir les films partout, alors la présence du réalisateur fait événement.

// Jean Breschand
Pour appréhender la logique du projet, le plus simple est assurément de partir d’un film déjà réalisé ou en projet. Mais une fois que l’on a dit cela, on s’aperçoit que les choses peuvent être plus complexes. L’éventail est ouvert : raconter – performer, présenter – un film fait ; ou bien en train de se faire, en cours ; ou bien un film à faire ; ou bien un film qui ne se fera jamais ; ou bien un film fait pour n’être jamais réalisé ; ou bien le film que l’on n’a pas fait… Ou encore : des scènes qui n’ont jamais trouvé leur place dans le film – la part du film qui a été enfouie, le film qui a été recouvert… En tout cas, il s’agit bien du faire, de raconter, de se raconter les uns les autres comment on travaille, l’histoire d’un de ses films (homo faber – cine faber).
De la même façon, refaire le chemin parcouru de la fabrique, déplier quelles en sont les étapes, constitue ce chemin en récit. L’histoire d’un film, d’un tournage, d’une séquence n’a rien d’unifié, d’ordonné, de vectorisé. C’est un écheveau de récits. Récits que l’on fait émerger, que l’on croise, que l’on retrace ou que l’on découvre, que l’on tisse, que l’on voit apparaître à la faveur de nouvelles connexions issues précisément du fait même de raconter ce que l’on n’avait pas encore raconté.
Autrement dit, un récit ne se constitue pas seulement en référence à une réalité, mais tout aussi bien à une potentialité.
C’est dire aussi que le travail de création est au fond une procédure narrative.La prolifération des récits est infinie et pourtant, il y a un moment où l’on s’arrête à une forme. À quel moment cet arrêt se cristallise-t-il ? Quand on entend que trois récits se répondent ? Se font écho ? Forment un ensemble ? Et quelle est la forme de l’ensemble que nous formons, allons former ? Nous ne le saurons qu’à la fin, sans doute. Car cette forme n’est pas exactement un dessin, mais plutôt les dessins à venir, les échos futurs que seront nos films.

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