Nora MartirosyanLa Fabrique des films

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État des lieux. Film en construction.

Nora Martirosyan - La Fabrique

Le film se construit sur les ruines d’un Empire. Les ruines physiques, mentales, idéologiques.

1988. Sergeï Hambardzoumian, mathématicien, académicien et recteur de l’Université d’Erevan, prend la parole pendant une assemblée extraordinaire du Parlement sur la question du Haut-Karabagh. Les mots « Démocratie » et « Glasnost » apparaissent alors dans le vocabulaire soviétique ; l’une de leurs premières applications est la retransmission de ces assemblées parlementaires à la télévision. La délégation arménienne tente de convaincre le gouvernement de prendre une position par rapport aux pogroms et aux assassinats qui commencent au Haut-Karabagh. Sa parole, et particulièrement celle de Hambardzoumian, est à plusieurs reprises coupée par Gorbatchev qui ne veut pas entendre ces signaux alarmants. Les spectateurs attentifs voient là le premier signe de l’affaiblissement de la machine gigantesque qui semblait jusque-là sans faille. Je cite Sergueï Hambardzoumian : « Il faut tout faire aujourd’hui pour éviter la guerre. » La guerre éclatera en 1990.

Vingt-deux ans plus tard, chez lui, Sergei Hambardzoumian nous commente ces évènements.

Résistance armée, résistance à l’Histoire, résistance à l’image. Cela ne peut-il pas être une définition possible du cinéma, à partir de laquelle commencer une fiction ?

2011, le Haut-Karabagh. Ses villes et ses villages portent des noms russes, arméniens ou turcs selon leurs sources iconographiques. Il s’agit d’une république autoproclamée en 1996 mais reconnue par aucun État, proche ou lointain. Une sorte de non-lieu pour le restant du monde, ou un état fictif qui, comme chaque fiction, vit avec ses propres règles très logiquement définies du point de vue de cette fiction.

Conflit non résolu, territoires occupés, service militaire obligatoire, forte présence militaire et menaces de snipers aux frontières caractérisent aujourd’hui le climat de tension qui règne au Haut-Karabagh surtout dans les zones frontalières.

Les populations locales qui y vivent n’ont pas la conscience de ces pages d’Histoire qui se sont tournées avec et devant elles. De cette Histoire pourtant, dont elles sont précisément devenues des personnages à leur insu, leur destinée semble avoir à jamais basculé dans une réalité peu évidente.

Ce qui est décrit ci-dessus s’énonce comme un décor/socle propice pour le développement d’une fiction. Comment rendre compte de la réalité de ce territoire et de ses populations dans toute son ampleur et dans toute sa poésie ? Comment faire en sorte que ce contexte historique et géopolitique incarné par les personnes qui le vivent au quotidien ne devienne pas seulement le décor d’une histoire, mais l’histoire elle-même ? Comment véhiculer cette histoire sans avoir à en passer par un rapport de type documentaire qui risquerait de nier la poésie humaine que portent ces individus face à un passé qui se conjugue encore pour eux au présent ? En somme, comment leur rendre à l’image la liberté et l’autonomie dont ils font preuve face à l’Histoire qu’ils portent et qu’ils incarnent ?

Le scénario contre l’image

Les chevaux – Extérieur jour

Entre les herbes jaunes et vertes une immense ville blanche se dessine. La caméra ne la quitte pas du regard et s’en rapproche à grande vitesse.

Quelque chose d’anormal s’en dégage.

Et rapidement la raison de cette étrangeté apparaît. Cette ville, qui donne l’impression de n’avoir été construite que de pierres blanches, est aujourd’hui seulement constituée de ses seules ruines. Son étendue généreuse rend ce cimetière de constructions encore plus effrayant. Les immeubles d’autrefois, aujourd’hui réduits à des moitiés d’étage, sont alignés en rangs, témoignant de la planification moderne de cette ville.

Il n’y a plus que de la végétation rase et aucune hauteur de mur n’est à même d’arrêter la vue sur cette ville fantôme qui n’est plus aujourd’hui que la maquette de ce qu’elle fut.

Nous sommes cette fois à l’intérieur.

Faute de pouvoir trouver des repères, des points sur lesquels s’appuyer, la caméra s’arrête sur le seul élément de vie qui règne ici : un cheval suivi de son poulain.

Les deux animaux servent alors de guides silencieux.

On pénètre dans ce dédale de ruines blanches qui s’étend face à nous, à perte de vue. Aucune maison n’a conservé de toit, de fenêtres, ou même de portes. Il ne reste que les pierres de construction, et même celles-ci sont partiellement arrachées et désolidarisées de leur base.

La tête du cheval entre dans le cadre, de profil. Dans son œil qui regarde l’objectif de la caméra la vie pulse, alors qu’en arrière-plan règne un sentiment de destruction et de perte dans cette ville abandonnée.

Dans ce silence, seuls les pas des chevaux se font entendre. Le bruit sourd des sabots qui résonnent sur les anciens chemins pavés rythme la progression dans l’image.

Les deux animaux avancent tranquillement, semble-t-il avec un but précis, en direction d’une parcelle sur laquelle se dressent des poteaux creux.

Le son change.

On entend une puissante circulation d’eau qui se fait de plus en plus soutenue. Le son arrive de sous les pas des chevaux.

Si les ruines de pierres blanches nous donnaient une indication précise sur la nature des constructions qui existaient, il est difficile de comprendre à quoi servent les poteaux creux qui ponctuent ce grand terrain plat. Servaient-ils à soutenir un étage ou un abri ?

Alors que les chevaux s’en approchent le son de l’eau devient plus présent comme s’il circulait à l’intérieur même de ces poteaux. Après quelques instants on comprend que sous cette parcelle se tient un immense réservoir d’eau. Un réservoir qui autrefois fournissait de l’eau pour toute la ville, mais qui aujourd’hui reste inaccessible. Les chevaux assoiffés errent en vain autour de ces «pailles géantes».

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Vues de l’exposition

Séminaire

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