À propos des films de Noëlle Pujol

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    par Céline Saraiva [2006]

    C’est pas la peine de savoir où l’on va, faut y aller.
    On cherche tout le temps des lieux pour le cinéma
    alors qu’il y a tellement de lieux qui cherchent une caméra.

    Marguerite Duras

    Boum !
    Noëlle Pujol y est allée. Elle a trouvé ceux qui la cherchaient. Des rencontres «arrangées», de celles qui ne doivent rien au hasard, bien au contraire. D’un côté, les vies du réel à l’état de veille, cloisonnées dans leur état d’être au monde, de l’autre le cinéma, qui « […] grâce à la dynamite de ses dixièmes de seconde, fit sauter cet univers carcéral, si bien que maintenant, au milieu de ses débris largement dispersés, nous faisons tranquillement d’aventureux voyages. (1) »

    Rencontrer qui/quoi ?

    Il est d’un intérêt tout particulier d’évoquer ici les raisons du choix des sujets de Noëlle. Certains pourraient rapidement conclure à la séduction d’une prétendue marginalité de ces personnages ou au soi-disant « exotisme » d’un quotidien ordinaire. Rien de tout cela dans les intentions de l’artiste. L’opération visée est d’une tout autre nature, semblable aux paroles de Gilles Deleuze dans l’Abécédaire quand il évoque la notion de rencontre. Il dit ceci : « les rencontres ne se font pas avec les gens mais avec les choses ». Loin de nous l’idée de considérer l’approche de Noëlle entachée d’une quelconque misandrie, la chose est bien plus belle. Ce qu’elle voit d’abord dans ceux qu’elle choisit, c’est leur immense capacité à « faire image » ou en d’autres mots, à se REPRÉSENTER à elle et non pas simplement à se présenter à elle.

    Michel

    Michel, c’est le Préparateur. Celui qui est en charge de la représentation des animaux au Muséum d’histoire naturelle à Angers. Dans le film, Michel prépare le cygne (son premier) pour la « parade ». La tâche est délicate, on le sent et les gestes précis. Il est question de chirurgie dans un premier temps. À l’animal, il faut d’abord ôter ce corps mort pour lui en fabriquer un autre, « plus éternel ». À l’étape suivante, le corps est vide et Michel laisse paraître son malaise. On le comprend, Il est l’auteur de la « décomposition » du cygne. Vient ensuite le moment de la « reconstruction ». Il s’agit alors de Michel, en sculpteur qui façonne un nouveau corps à partir du modèle de l’ancien. Le Préparateur se concentre pour son ultime action : la pose de l’œil et avec elle, le gage d’une vie nouvelle.

    Les représentations de Michel
    Michel vu par Noëlle déborde de la simple identité de taxidermiste. L’éventail des pratiques est bien plus large : le photographe, le médecin qui opère, le boucher qui découpe, le sculpteur, le couturier qui ajuste l’habit. Nulle schizophrénie du Préparateur mais le travail du cinéaste confié, par procuration, à son personnage. Michel, c’est le cameraman vu par Benjamin. C’est-à-dire comme un chirurgien qui «pénètre en profondeur dans la trame même du donné» et qui « recomposent selon une loi nouvelle1 ». Michel, c’est aussi le «monteur» du corps de l’animal. Il est aussi l’artisant-artiste non pas comme un double de Noëlle mais bien d’avantage ici comme double du Cinéma.

    Allohajo

    Le nom sonne comme un appel à l’écoute. Mais de cette histoire, on ne saura que très peu de choses. Premières images : un plan fixe sur une construction métallique. Sur la gauche un escalier qui m’invite, moi spectateur, à embarquer dans l’aventure. L’arrivée des ouvriers me signale autre chose. Il s’agit d’un chantier, c’est sûr. Le plan suivant ne me donne que peu d’indices. Une énorme plaque de tôle envahit l’image. On est dans la matière ici. Ce qui vient ensuite montre des ouvriers à la tâche. Ils découpent, Ils soudent, ils cognent, ils peignent, ils manipulent. On oublie la caméra, sa présence est discrète, elle est fixe. Tandis que la bande son, elle, insiste sur la brutalité des sons produits par les gestes ouvriers. Un plan large situé dans les derniers moments du film nous renseigne sur la nature du travail. C’est un chantier naval qu’il est impossible de localiser. Aucun commentaire pour nous éclairer. C’est pourquoi ce film vise autre chose. Quoi ?

    Chantier cinéma

    Le geste ouvrier devient ici geste de création. On l’aura compris, on nous parle de cinéma et de sa « mécanique ». Pour preuves les figures de l’ouvrier : l’ouvrier/acteur qui enfile son costume, l’ouvrier/preneur de son qui porte un casque, l’ouvrier/monteur qui coupe et qui soude, l’ouvrier/étalonneur qui modifie les couleurs, l’ouvrier/machiniste qui règle les outils. D’autres indices encore : la bobine de fil métallique qui rappelle la pellicule ou ces rails qui sont ceux d’un supposé travelling. Ultime référence au cinéma : la sortie du chantier en guise d’hommage à celle, inaugurale, des frères Lumière.

    Réception

    Deleuze écrit dans Pourparlers : « Dire quelque chose en son propre nom, c’est très curieux ; car ce n’est pas du tout au moment où l’on se prend pour un moi, une personne ou un sujet, qu’on parle en son nom. Au contraire, un individu acquiert un véritable nom propre, à l’issue d’un véritable exercice de dépersonnalisation, quand il s’ouvre aux multiplicités qui le traversent de part en part, aux intensités qui le parcourent (…), une dépersonnalisation d’amour et non de soumission. On parle du fond de ce qu’on ne sait pas, du fond de son propre sous-développement à soi. On est devenu un ensemble de singularités lâchées, des noms, des prénoms, des ongles, des choses, des animaux, de petits événements : le contraire d’une vedette. »

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