A propos de Después de la revolución

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    Christian Merlhiot : Réalisé quelques années après Bologna Centrale, ce film semble à la fois le prolonger par une approche déambulatoire de la ville d’où surgiront des moments enfouis de mémoire individuelle et d’Histoire collective et à la fois s’y opposer totalement : tu ne reviens pas, tu séjournes à Buenos-Aires pour la première fois avec ce film. Qu’est ce que cette expérience prolonge dans ton cinéma et quel territoire invente-t-elle ?

    Vincent Dieutre : En effet, comme Rome Désolée et Bologna Centrale, Después de la revolución est un  “film de ville“, sédentaire et urbain, plutôt minimal. Ces films s’intercalent avec ce que j’appelle mes “Films d’Europe“ qui formeront bientôt (espérons-le) une trilogie : Leçons de Ténèbres, Mon Voyage d’Hiver et Flow My Tears (non réalisé) explorent plus, il me semble, un territoire (L’Italie ou l’Allemagne), une sphère culturelle que le voyage réinvente à l’aune de l’intime. Contrairement à Bologna Centrale, Después de la revolución n’était pas prémédité, ni même écrit. Ce n’est qu’a posteriori que j’ai réalisé qu’un film était là, dans les images et les sons glanés durant mon premier séjour à Buenos-Aires. Mais tu as raison, j’avais depuis l’adolescence des souvenirs de cette ville où je n’avais pourtant jamais mis les pieds ; car dans le Paris des années Palace, les Argentins tenaient une place primordiale : ils refondaient la scène culturelle parisienne, et moi je naviguais à leur côté dans le sillage de Copi et d’Alfredo Arias sous le haut patronage de Marguerite. Entre eux les Argentins ne cessaient d’évoquer leur ville, leur Buenos-Aires, leurs quartiers, leurs cafés. Du fait de leur exil en France, c’est comme si la ville avait cessé d’exister avec la dictature pour renaître devant moi, plus diffuse, plus colorée, plus précise presque, dans leurs conversations animées, drôles et souvent alcoolisées.
    J’avais donc la mémoire d’une ville inconnue et cette strate mémorielle s’est télescopée avec mon irruption inattendue dans le vrai Buenos-Aires. D’autres corps argentins sont apparus que j’ai identifié comme des doubles de mes Argentins de Paris, l’artiste militant et le psychanalyste dépressif. Mais le Buenos Aires que j’ai rencontré était en pleine effervescence, en pleine libération sexuelle, loin du monde nostalgique que j’avais construit en rêve. Il fallait trouver une forme particulière pour rendre cette double révélation.

    CM : Le film semble opérer à partir d’un dispositif, une série de promesses qui régulent la rencontre amoureuse, mais on perçoit dans le même temps un débordement qui donne une grande liberté à sa construction. Quel était le protocole de départ ? Comment est-il mis à l’épreuve par ton séjour, Buenos-Aires elle-même, les déambulations, les rencontres ?

    VD : Rien n’était vraiment concerté. Mais durant les 15 jours à Buenos-Aires, j’ai commencé à tourner des « vedute », ces paysages patients que j’affectionne tant et qui quadrillent assez systématiquement la ville comme elle s’est révélée à moi, quartier après quartier, plutôt « parisienne ». J’ai aussi profité des trajets en taxi ou en bus pour tracer de longues lignes d’espace entre ces couches successives. Puis est venue l’idée de confronter l’intime (le sexe pur en l’occurrence) à cette géographie de l’exploration. La Maison et le Monde, toujours… Hugo (que je connaissais de Francfort) trouvait l’idée intéressante en tant qu’artiste et la pudeur s’est envolée : nous voulions trouver un moyen de nous confronter à la pornographie tout en échappant au voyeurisme marchand et nous avons pensé faire l’amour « caméra au poing » pour rendre l’énergie et la chorégraphie du sexe plutôt que de miser sur le risque clinique du plan fixe.
    C’est à Paris, au montage, que les ennuis ont commencé, je ne savais pas trop quoi faire de tout ça et c’est Isabelle Ingold qui a bien voulu dérusher et monter ces petites séquences porno, en débusquer la beauté un peu sombre. Moi j’avais pris pas mal de sons seuls, nous y avons ajouté des poèmes argentins lus en Espagnol, la pâte grunge d’une musique sourde (une première pour moi !) et tout a semblé avoir toujours été en place, comme ça : j’ai commencé à écrire…

    CM : Comme tous tes autres films je crois, celui-ci convoque une bande sonore occupée, en partie, par une voix-off. Il s’agit de ta voix qui énonce, ici, un récit construit dans un style littéraire soutenu et contraste avec les images parfois floues et bougées. Les images semblent immédiates, la voix affecte un ton relevé. Quand écris-tu ces textes ? Quelle distance rendent-ils sensible ?

    VD : C’est presque toujours le même principe, tous les textes sont rédigés à Paris après un premier montage image. Et des souvenirs parfois un peu « arrangés » trouvent à s’accrocher à la succession des plans. Il se forme un contrepoint entre ce qui est donné à voir (des lieux, des visages) et les bribes de récits qui deviennent un peu des « rushes écrits ». Alors, une fois déclamés et enregistrés, nous les montons comme on monte un plan, pour qu’ils trouvent leur place juste dans l’ensemble ; beaucoup  finissent à la poubelle ou complètement déchiquetés (la fin au début, ou coupé en trois). Ce sont des questions de rythme, d’intensité du rapport entre les plans, les sons et la voix. Je pense souvent à la notion d’image/temps en faisant ce travail, et le résultat est souvent riche d’une émotion très particulière, comme si l’effet de perte, de “jamais plus“ était démultiplié, comme lors d’une confidence. Je me dis que si la monteuse et moi sommes touchés, le spectateur le sera aussi, si on laisse le temps au film de se déployer, à tous les éléments de « concerter » … On est dans la composition musicale…

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