par Timothée Chaillou [2009]
« L’objet a n’est pas ce que nous désirons, n’est pas l’objet de notre désir, mais plutôt ce qui met celui-ci en mouvement, le cadre formel qui lui donne consistance. » Slavoj Zizek, La subjectivité à venir
L’image a envahi notre réalité et l’a tout simplement fait éclater. De cette atomisation, découle une stratification, une superposition et une élaboration multiple des schèmes de notre réalité. Elle est une zone de circulation, une trame d’événements interconnectés dont la pluralité de ses configurations est praticable comme un espace en permanente constitution (on-going space). Toute inertie en serait absente, puisque par un effet générateur, chacune de ces parties – ou branchements – et leurs interrelations vont déterminer la structure de la trame entière. Dans cet agencement rhizomique, radicant, l’artiste est un programmateur choisissant des modes de circulation dans ce flux imprévisible et en perpétuelle mutation, tandis que l’objet perceptif devient le spectre de ces interfaces opérationnelles. Travailler à l’intérieur de cette chaîne, c’est circuler de site en site, chercher une connexion sur un réseau pour une navigation en onglet en localisant une source pour en redistribuer les informations. Dans cette pensée opératoire, tout n’est que construction de passerelles, d’espaces de transitions et de systèmes de mobilité. Création de possibles à l’intérieur d’un système de représentation dont les « glissements dans la réalité sont progressivement devenus un des principaux moyens pour décrire la réalité » (Slavoj Zizek). Ces trajets dressent une cartographie dont la pratique devient le site événementiel (Alain Badiou) même, sa métaphore donc, son lieu de transport. Chaque forme produite par l’artiste devient un objet en transit, un relais actif (Elie During) conduisant vers un nouveau contexte, une pratique et un usage de la propagation, à l’image de notre ère capitaliste – celle du capitalisme cognitif s’élaborant sur la circulation et la diffusion des savoirs, devenant ses composantes économiques propres.
Aucun territoire ne peut-être totalement acquit. Il faut utiliser son potentiel pour mener des enquêtes en considérant les formes comme des indices pour des procédures. Le champ d’investigation d’Adam Vackar n’est pas un ensemble descriptif et clos, mais un espace de connections infinies repoussant ses limites et contraintes – préférant y repérer le potentiel d’application d’une situation que de la modéliser. L’artiste reste le propriétaire de la destination, le spectateur du trajet. Par ce schéma, l’objet ou le fait artistique, devient une transaction interactive puisque l’on « devrait commencer à savoir que ce ne sont pas les gens qui communiquent mais les effets (énoncés, images) qui se communiquent » (Serge Daney).
Pour Zebra Blurred (2007), Adam Vackar va tracer, avec un pigment blanc, un passage pour piéton sur lequel seront notés des phrases sorties du flux informatif et télévisuel. Il fait de l’espace urbain le lieu d’une média-cartographie pour naviguer sur des axes de communication. Il questionne « le comment vérifier » une information en mouvement. Il s’agit de circuler dans le monde comme circule une information, pour passer sur ce qui passe. Dans cet entrelacement, entre trafic et Histoire, c’est faire du local et de l’universel, un schème synthétique. C’est ce qu’évoque aussi Sputnik Black (2006), figure uniciste et réappropriationniste du premier satellite russe recouvert de l’emblématique peinture noire de Mercedes-Benz. C’est un ready-made assisté (Steven Parrino) et altéré par un désordre de la personnalité : c’est le syncrétisme d’une contamination virale entre la conquête communiste et l’économie nazie. Cet objet est envisagé comme un espace de partage antithétique, un excès errant (Alain Badiou), un vecteur de distorsion autant qu’une forme en partance.
Le silence, ce n’est pas rendre muet, ce n’est pas non plus une zone aride du comportement c’est plutôt un instant replay, un redémarrage. C’est ce que sous-entend la morale du travelling de One minute of silence (2006). C’est un temps gelé. Adam Vackar fait le point sur les conditions d’apparition et d’appréhension du mutisme dans son articulation par une chaîne signifiante. C’est l’arrêt d’une course, pour retrouver « l’absence de la hiérarchie » nous dit-il, un espace égalitaire fut-il un mirage. C’est un silence qui fait taire ces performances qui en veulent tellement à l’idée de spectacle. Un bloc de temps définissant, un bloc d’espace et un effet social.
Être un locataire de la culture(Michel de Certeau) c’est appartenir à une communauté et à ses mandats symboliques. Merged Alphabet (2007) est une performance accomplie par différentes personnes récitant successivement l’alphabet pour construire une nappe sonore inaudible. Cette production travaille – comme la pédagogie godardienne – la répétition et l’énonciation de l’image du langage, sa substance, qu’est l’alphabet. C’est jouir du langage sans payer le prix de la communication. Cette provocation de la multitude fait écho à cette envie de déploiement de formes encore plus élastiques et multiplicatrices souhaitées par Michael Hard et Toni Negri pour s’opposer à l’empire capitaliste mondial, composant un paysage d’événements dont les frontières deviennent des lignes de fuite.
Texte de l’exposition « Everyday’s Resistance », Galerie Vernon, 23 mais/28 juin 2007, Prague.
by Timothée Chaillou [2009]
“The object a is not what we desire, it is not the object of our desire, rather it is something that sets desire in motion, a formal framework which gives it a fixed form.”
Slavoj Zizek, La subjectivité à venir.
Images have pervaded our reality to such an extent that it has shattered. This atomisation has led to a layering, juxtaposition and multiple schematisation of our reality. It has now become a zone of movement, an arrangement of mutually interconnected events. Most of its configurations can be utilized as on-going spaces (spaces that are constantly being formed). There is no immobility within this zone because each of its parts, or digressions, and their mutual relations delimit the structure of the entire entity through their procreant effects. In this rhizome-like arrangement, the artist becomes a programmer who selects the modes of movement in the unpredictable and constantly changing flow of reality. Working with such chains of events requires moving from place to place, looking for a connecting-point to the network, allowing movement at right angles and localising a source whose information content can be further disseminated. This kind of operational thinking is founded on the construction of bridges, temporary surfaces and mobile systems, on creating the possible within a system of imagination with “shifts in reality [that] have progressively become the most important means of describing reality” (Slavoj Zizek). These trajectories become the basis for cartographies and their use becomes the very foundation of factography (Alain Badidou), or rather its metaphor, a place of transportation. Each form created by the artist becomes an object in the process of being transported, an active transfer station (Elie During), tending towards a new context, a means of utilisation and propagation according to the model of our capitalist era – the era of cognitive capitalism ensuing from the circulation and dispersal of knowledge which has become the system’s economic component.
No territories can be left out. Their potentials must be used to investigate all forms as procedural markers. Adam Va?ká?’s extensive investigations do not consist of a descriptive and closed entity, but rather a space with infinite connecting lines which eternally shift its limits and inhibitions and in which the author prefers to search for the potential of employing a particular situation, rather than modelling it. The artist remains the owner of a given direction, the observer of a given trajectory. Through this artistic scheme – subject or fact – the transferred becomes interactive since “by now we should know that it is not people who communicate, but effects (of statements, images).” (Serge Daney)
In News Dispersed, Adam Va?ká? records sentences taken from news and television information flows on a pedestrian crossing with white pigment. The urban landscape becomes a place of media cartography which allows him to glide along axes of communication. He explores “how to verify” information in motion. The point is to glide through the world in harmony with the current of information and to permeate that which is flowing. This jumble of public transport and history intends to create a synthetic diagram from local and universal realities. There is also a connection here to Spuntik Black, the unique representation of the first Russian satellite painted with Mercedes-Benz black varnish. This is an assisted ready-made (Steven Parrino) which – debased by a personality disorder – is the syncretism of a viral infection somewhere between Communist achievement and Nazi economy. This subject is interpreted as a space of antithetic sharing, an errant enjambment (Alain Badiou), a vector disrupting equilibrium, but also a form setting out on a journey.
The object of perception becomes a spectrum of operational interfaces and silently glides through production space. Silence does not signify reticence or tedious behaviour but rather instant replay, a re-start. This is also the lesson that follows from Va?ká?’s video piece One Minute of Silence which represents frozen time. Adam Va?ká? reviews the conditions and understanding of reticence, broken down into a chain of meanings. It is an arrest of the course of time resulting in an “absence of hierarchy”, as the author says, even though this state of equilibrium might be an illusion. Silence is capable of making these performances, which try so hard to be performance, noiseless. Silence defines a segment of time and space and a social effect.
To be a tenant of time (Michel de Certeau) means to belong to a particular community and to fall within its symbolic authority. Merged Alphabet is a performance enacted by various people all of whom simultaneously declaim the alphabet and thus create a level of silent noise. This production works, in a similar way to Godard’s teaching method, with the technique of repetition and the formulation of a linguistic image whose essence is the alphabet. It consists of the use of language without paying the price of communication. This provocation of the crowd reflects the desire to develop the even more flexible and multiple forms that Michael Hard and Toni Negri wanted to utilize in the fight against the global capitalist empire and which would lead to the creation of a landscape of events whose borders would serve as a means of escape.