Aminatou Echard / Djamilia

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    Scène retirée du montage

    Femmes prenant le thé, scène non utilisée du film Djamilia

    Photos de repérage

    2009. Forêt de noyers, Arslanbob / 2016. Bulbunhan 55 ans, dit – Alors, pendant la saison des noix, les jeunes femmes viennent ramasser les noix, là, dans la forêt, pour se reposer.

    2016. Vallée de Kourkouréou, village natal de Aïtmatov. Masuda, 70 ans – Nous, on l’a d’abord vu au club de cinéma, au village. Dans l’écurie on mettait un tissu blanc sur le mur et on projetait la grande bobine.

    2016. Vallée de Kourkoureou. Nurgul, toute jeune belle fille – Je suis comme une page blanche sur laquelle ma belle-mère refait mon éducation, ce que je dois faire, ce que je dois dire, et comment.

    2008, région de Barskoon, un verger, et les rires d’un groupe de jeunes adolescents qui ramassent les pommes.

    2012. Forêt de noyers d’Arslanbob. Les belles-filles et filles installées pour la saison des noix habitent la forêt – Pas d’ordres ici, disent-elles.

    2014. Arslanbob, pièce où l’on reçoit les visiteurs, le pain à peine sorti du four refroidit.
    2007. Région de Kochkor. Dans la pièce où l’on reçoit les invités.
    2012. Région de Kochkor. Intérieur.
    Ancienne affiche cinéma de l’une des adaptations cinématographiques de « Djamilia »
    2016. Région de Djalal Abad, seuil d’entrée donnant sur le jardin intérieur de la maison, on y a posé une pomme, il fait silence, les fillettes regardent ce que je fais en chuchotant.

    2014. Kochkor. Ce jour là, après l’école, la vieille structure de manège du parc est investie par les petites filles.

    Notes extraites du cahier de tournage

    5 août. Je suis arrivé hier chez Shahnoza mon interprète. Accueil chaleureux. Elle me regarde, je la regarde, on se demande comment on va faire. J’explique que je voudrais voir les femmes plusieurs fois, elle me répond avec calme et en souriant que ce ne sera pas possible. Elle s’explique, je m’explique, on ne se comprend pas.

    8 août. Suis allée à l’école avec Shahnoza, revu le directeur, cherché les numéros de téléphone des femmes que j’avais rencontrées il y a deux ans. Nous n’avons retrouvé que le numéro de la jeune professeure de Lettres. Elle nous invite à venir dans sa maison immédiatement. Nous laissons l’école en plan et allons chez elle. Nous sommes reçues dans la pièce réservée aux invités. Elle se souvient de moi, elle a continué à travailler « Djamilia » avec ses élèves et cherché une nouvelle méthode de travail. Elle parle vite, tandis qu’une très jeune fille prépare la table pour le thé. Je comprends que lorsque la table sera prête, la belle-mère viendra s’asseoir et que la jeune professeure que nous venons voir ne dira plus rien. Je sens la tension et l’importance d’avoir tout calé avant que la parole ne lui appartienne plus. Je sens sa prudence aussi, car elle ne parle que lorsque la jeune fille, ayant déposé les assiettes et plats, repart vers la cuisine. La jeune fille court et la table est prête en moins de dix minutes. La jeune fille disparaît, la belle-mère s’assoit et la jeune professeure se transforme. Elle ne lève plus les yeux ni vers moi ni vers Shahnoza qui est pourtant l’une de ses bonnes connaissances, ne sourit plus, reste silencieuse, et sert le thé. La belle-mère mène maintenant l’échange et la conversation. J’assiste à la transformation de la scène, moi qui me voyais déjà filmer dans cette magnifique maison. Il me sera impossible de filmer une belle-fille dans sa maison et le temps qu’elle pourra m’offrir sera court. Il faudrait filmer le ballet des tasses mais je sais que je ne le filmerai pas. Je ne veux pas filmer la contrainte des corps, encore. Plutôt tenter de trouver où se logent quelques germes de résistance, de liberté, de pensée, de mouvement.

    9 août. Hier soir, promenade dans le quartier vers 18h30. Je me suis laissée voir. Les femmes étaient dehors. Les enfants jouent dans la rue, il commence à faire frais, le soleil décline, la lumière est chaude. L’une repeint un long mur au rouleau blanc, elle est loin d’avoir terminé. Les femmes les plus âgées me saluent, les plus jeunes détournent le regard devant les plus âgées. On croirait presque que c’est un monde de femmes, car elles seules sont dans la rue.

    11 août. Quelques femmes me disent qu’elles prennent du temps pour elles la nuit, avant le coucher, lorsque la maison est silencieuse. L’une regarde les étoiles, écoute les respirations, une autre écrit. J’imagine des détails de la maison. Ombres. Allées et venues dans le silence. Images que je ne pourrai pas filmer. La maison n’est pas le lieu de l’intime ici, j’ai fait erreur. Je me retrouve dehors avec peu de temps, dans des lieux chaque fois changeant, au pied levé, à devoir fabriquer un environnement de confiance, en retrait des regards et des oreilles, le temps d’un échange, toujours très bref.

    14 août. Filmé cette petite fille en équilibre sur le rebord de la fenêtre. Sur le seuil, entre le dedans et le dehors, toujours. Penser des passages. Toujours sur le fil.

    15 août. Gulchaïr est venue vers moi à l’école pour parler de Djamilia, elle qui a tellement aimé lire. A cette première rencontre, elle ne peut rester que vingt minutes. Prise au dépourvu, je ne sais toujours pas comment gérer ce temps infiniment court et elle part en courant alors qu’on a à peine commencé. Son père était écrivain. Enfant et adolescente elle écrivait. Tout a été perdu. Comprendre on lui a tout brûlé. Son mari est très âgé et malade, on me dit qu’elle n’a pas eu de chance.

    Lorsqu’elles m’ouvrent leur porte je ne sais jamais combien de temps nous pourrons rester à parler. L’échange peut s’arrêter à chaque instant. Je dois penser que chaque phrase peut être la dernière. Et avoir tout en tête.

    Enumération de la liste interminable de tâches quotidiennes. La machine à laver le linge de Shahnoza est en panne. Quatre enfants, un mari, toutes les tâches de la maison, le travail sur le film, à quoi se rajoute maintenant le lavage du linge à la main.

    20 août. Analyser puis transformer, dévoiler puis refaire, mais comment dépasser le constat. J’entends les mêmes histoires, la même violence dans les mots. Il y a kidnapping, violence, non-choix. La question de l’amour n’a aucun sens. Comment penser avec elles ? Rester sur du concret ? Djamilia m’amène partout, emporte toutes les discussions avec entrain mais attention au piège de la contradiction, de la répétition.

    25 septembre. Je retrouve à nouveau Guchaïr, elle a rappelé ! Qui me dit que sa maison est comme une cage. Elle veut être filmée dehors mais où ? On a trouvé un dortoir vide dans le jardin d’enfants et il n’est plus resté que 15 minutes avant qu’elle ne parte. Une seule bobine-plan filmée, 2 minutes 30 secondes d’images d’elle, à peine plus pour la voix. Après deux mois ici, je me suis habituée à ces temps courts et les 15 minutes m’ont parues s’étendre sur plus d’une heure : j’ai pris le temps, j’ai eu tout le temps qu’il me fallait. Etonnement.

    Tâcher de rendre compte de cette transformation de la perception de la durée. Dans le film, prendre le temps, avoir le temps. J’ai peu de bobines, je filme peu.

     

     

    août-septembre 2016

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