Bons plans

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    par Élisabeth Lebovici

    Une tête sortie de nulle part, détourée, ovale comme un œuf sur l’écran noir, parle, admoneste et gourmande :

    “ Alors, quoi de neuf ?
    Qu’est-ce que tu deviens ?
    Qu’est-ce que tu racontes ?
    Qu’est-ce que tu fais de beau en ce moment ?
    Qu’est-ce que tu racontes de beau ?
    Tu ne fais rien d’extraordinaire?
    Tu ne racontes rien?
    Hein ?
    T’as rien d’intéressant à dire?
    T’as pas de projets?
    Tu deviens rien?
    T’es pas extraordinaire hein comme personne.
    Tu fais rien d’exceptionnel en fait.
    T’as rien à raconter.
    T’as rien à dire même.
    T’es vraiment une tache.
    T’es vraiment pas grand chose.
    Aucun intérêt.
    Tu fais rien qui sorte de l’ordinaire.
    Tu fais des choses banales en fait.
    Il y a même plein de choses que tu fais qui sont nulles.
    Non, vraiment là tu me déçois.
    Je suis sûr que tu fais des choses triviales.
    Je suis sûr que tu fais des choses plates, ennuyeuses, inintéressantes.
    C’est petit.
    Vraiment tu me dégoûtes.
    T’as rien à raconter.
    T’as rien à dire.
    Minable.
    Raclure.
    Avorton.
    J’en étais sûr.
    Je sais pas pourquoi je te pose la question à chaque fois.”

    Valérie Mréjen, “ Bouvet ”, 1997.

    Bouvet, la première vidéo de Valérie Mréjen, en 1997, semble viser directement celui — celles ou ceux, le public devant l’écran du moniteur — qui le regarde, pour le tancer, l’engueuler, l’humilier dans un crescendo de violence un peu poussée, qui, à la limite, voudrait provoquer une réponse. Mais il n’y a pas de réponse et l’adresse, sous forme rhétorique de questions posées, affirme qu’il s’agit d’un discours de pouvoir et d’arrogance : “ t’as rien a dire, donc tais-toi ”. Cependant, tout discours de victoire ne la perd-il pas dans cette adresse brutale ? (cf. Le Dictateur). Comme lorsqu’il s’agit d’un discours électoral télévisé, en effet, cette parole ne s’entend pas frontalement. Elle se regarde d’abord. On la voit et dans ce regard-là, porté sur la parole, s’inscrit une distance. La bande-son peut bien émettre les insultes de plus en plus précises, que la bouche semble déverser, comme le ferait une fontaine — et d’ailleurs l’image de ce visage ressemble peut-être à une fontaine — le plan reste fixe. Sûr de lui, le torero agite tout seul son chiffon rouge de paroles, mais nul taureau ne se précipitera : la seule bataille qu’il livre, c’est à l’écran, pour l’écran, et donc au plan de l’écran.

    Ce trait, ce thème, au sens musical du terme, de variations et de répétitions, me paraît lier le travail de Valérie Mréjen (née en 1969) à des sources à la fois artistiques et cinématographiques ; des filiations historiques qu’elle a fait siennes, pour mieux s’en échapper, et vagabonder à son aise dans ses propres histoires. Bruce Nauman, d’un côté, nous a montré que le Clown qui hurle “ NON ” dans ses installations ne sera jamais sauvé par nous, qu’il ait la tête à l’envers ou à l’endroit, et qu’un couple qui nous parle ne s’entend pas. L’œuvre (d’art) n’est pas relationnelle. Jean Eustache, d’un autre côté, faisant répéter, dans Une sale histoire, le même récit à la première personne par Jean-Noël Picq et Michael Lonsdale, deux personnages différents, introduit du jeu dans le je de la parole et banalise une aventure tout en la constituant comme unique. Le cinéma n’est pas sublimation. Trente ans plus tard, le travail de Nauman, (auquel elle ne se réfère pas) comme celui d’Eustache ou les premiers films de Chantal Akerman (auxquels elle se réfère) sont dûment répertoriés dans l’histoire des chefs d’œuvre.

    Rien de plus lointain, cependant, du travail de Valérie Mréjen, que le ton un peu grandiloquent des assertions et des comparaisons ici proférées. L’originalité avance masquée sous les dehors aplanis d’une chronique ordinaire. Ses travaux manifestent des incidents à la fois anodins pour le spectateur et cataclysmiques pour les personnes qui les reçoivent, sans qu’aucun ne constitue une étude de cas, un mystère soluble dans un enchaînement causal psychologique ou une concordance sociologique. “ Les dialogues, ainsi, sont des événements qui se produisent exclusivement entre deux personnages en train de parler, ils ne sont pas adressés au spectateur comme c’est le cas habituellement (…) cela rend le dialogue pareil à la vie. C’est la vie que le spectateur est en train d’observer ”, une vie paradoxale, ici pareille à ce qu’énonce Gus Van Sant à propos du Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman (1).

    Le langage est une suite de petits événements qui ne se passent pas bien. Par exemple, lorsqu’une mère chapitre sa fille adolescente : … “ Tu sais tu devrais faire un petit régime, tu commence à prendre du poids, c’est dommage, je te dis ça pour ton bien. Et puis tu devrais essayer de t’habiller un peu mieux, regarde-moi ça comment tu es fagotée, tu ne sais pas te mettre pas en valeur. Je te dis ça parce que je t’aime, parce que j’ai envie que tu sois jolie, que tu te sentes bien. ” …(Michèle et Aurore, 1997, 2’ avec Michèle Moretti et Aurore Mréjen). Ou qu’un jeune homme passe tout son temps à rabrouer sa partenaire pour une histoire de cacahouètes :… “ ah là là ! c’est pas vrai ! quelle incapable ! – tu peux m’aider s’il te plaît ! – oui ben, je sais pas, tu viens de dire que j’étais une incapable alors…- ffff… ça m’a échappé, je retire ce que j’ai dit, tu sais bien que je ne le pense pas – tu prends tout au pied de la lettre toi, hein imbécile… – bon allez, sers-toi, mauvaise tête! ”… (Anne et Manuel, 1998, 2’15” avec Anne Consigny et Manuel Mazaudier). Mais si elle lui laisse la parole, ça ne veut pas dire qu’il détient le pouvoir : acte de résistance passive.

    On pourrait peut-être imputer cette rigueur dans l’absence de spectaculaire, à l’attitude que Valérie Mréjen a choisi pour tous ses travaux entre 1994, moment où elle sort de l’école des beaux-arts et 2004. Le format court, voire très court, caractérise en effet, aussi bien ses textes en prose que ses bandes vidéo, ses portraits filmés ou ses récits publiés. La preuve en est donnée au sein même de cet ouvrage, où peut par exemple tenir en x pages l’intégralité du dialogue de XXX ou de XXXX, saynète en vidéo évoquée ou même résumée correctement grâce à un, deux, trois ou quatre photogrammes reproduits. Le temps de chaque vidéo ne dépasse pas 4 minutes et trois secondes pour la plus longue durée et peut se réduire à 45 secondes. En ce qui concerne les 14 souvenirs évoqués, cinématographiquement, par différentes personnes dans les premiers Portraits filmés, leur durée totale se monte à 13 minutes trente (Portraits filmés, 2002). Les Portraits ultérieurs (2003) semblent perpétuer, si l’on peut émettre cet oxymore, la même fugacité. Ses films (La Défaite du rouge gorge, 2001, de 23’ et Chamonix, 2002, de 13’) entrent indubitablement dans l’espèce usuelle des courts-métrages. Les récits publiés comptent respectivement 64 pages imprimées pour Mon grand-père (1997) 80 pour L’Agrume (2002) et 92 pour Eau sauvage (2004). L’écriture est travaillée dans la même concision : “ une idée par phrase, ne pas m’étendre (2)”.

    L’image est également laconique : chacun des portraits ou des scènes se réduit, le plus souvent à un plan-séquence, enregistré en temps réel et sans montage ultérieur. La caméra est fixe, la scène est précise. Le ou les personnages, assis ou debout, sont saisis à mi-corps. Le haut apparaît, le bas se trouve le plus souvent hors champ. Chaises, sièges, canapés – beaucoup de canapés, souvent coupés par le cadrage – et tables plus ou moins dressées constituent les rares éléments mobiles d’un décor sans guère de profondeur : mur, mur peint, mur et papier peint, mur et interrupteur accompagnent les humains. Une personne vaut un plan, un plan vaut une personne, qui parle et se tait.

    Quant aux arguments, ils tiennent sèchement en une ou deux lignes. Une vieille dame répète de nombreuses fois la même formule : “ au revoir merci, bonne journée ” (Au revoir merci, bonne journée avec Paulette Bouvet). Dans une cuisine, une femme interroge un garçon, son fils sans doute (jamais les liens ne sont véritablement explicités) sur un séjour de vacances : c’était bien ? (Tonie et Etienne / 1’40” / 1997). Une jeune femme raconte une nuit d’amour. (Jocelyne, 1998). Une jeune fille a préparé un goûter pour ses amis mais un seul s’est présenté et la réunion devient immédiatement pesante (Le goûter 4’03” / 2000, avec Mireille Roussel et Jérémie Elkaim). Trois copines se réunissent autour d’une table pour véritablement se mettre à commencer l’écriture de leur futur projet commun d’avenir. (Le Projet / 1’54” / 1999, avec Anne Consigny, Jocelyne Desverchère et Lucia Sanchez ). Un homme se plaint d’une femme avec laquelle il est manifestement lié, Huguette. Six fois de suite (Huguette, 3’08”, 1998). Une fille met des Sympa partout (1’10”), l’autre se crispe avec des Truc (1’30”)

    Cette précision de chef de gare n’est pas tout à fait vaine. D’abord, parce qu’elle souligne un trait commun qui fait différences. La brièveté ne signale pas l’esquisse (tout ce qui entrerait dans les critères du “ bout d’essai ”, fragment extensible ou amplifiable ailleurs). Elle ne signale pas non plus l’excessive concision propre à un Haiku, un aphorisme ou une maxime réussie. Elle ne dénote pas l’exercice journalistique où excella le critique d’art et anarchiste Felix Fénéon avec ses “ brèves en 3 lignes ” ; ni le sketch de théâtre ou la performance de chansonnier puisque l’écriture est ici laissée sans chute, sans conclusion qui feraient obligatoirement catharsis. La concision n’est pas ici (pas seulement) un exercice virtuose. Elle est un lien, qui unit et file les différentes entrées d’un travail qui se porte tant du côté du “ film ” que de la “ vidéo d’artiste ”, de la “ nouvelle ” ou du “ récit ”. Seulement voilà, les passages des uns aux autres rendent la chronologie plus qu’embrouillée.

    En faisant profession de non-conformisme à l’égard de ces catégories — l’art, le cinéma, la littérature — Valérie Mréjen partage sûrement avec d’autres, artistes, cinéastes, écrivain(e)s de la même génération, son renoncement à un médium de prédilection. Il faut bien résister au cloisonnement des disciplines et à la sacralisation des fonctions pour aborder collectivement les enjeux de la création. Il y a des rencontres à inventer : les portraits de soldats israéliens de la Néerlandaise Rineke Dijkstra, le long-métrage Blissfully Yours du cinéaste thaï Archipatpong Weerasethakul, les photographies du belge Michel François, le film de la réalisatrice japonaise Naomi Kawase, les installations de la Britannique Sarah Lucas, la série de photos dans la rue de Gillian Wearing (“I’m desperate”..), les danseurs La Ribot et Jérome Bel, l’œuvre au noir du cinéaste écossais Bill Douglas, à titre d’exemples, font partie de ces circulations auxquelles Valérie Mréjen elle même, aime à se référer. Car Valérie Mréjen refuse également de définir les contours des frontières qu’elle outrepasse, démoulant ainsi tous les discours “ internes ” propre à chaque domaine, comme le souligne Vincent Dieutre(3) , et imposant aux critiques un déroutant vagabondage, qui se traduit ici par la difficulté de mettre à plat, de dérouler le fil des livres, vidéos et films, lesquels se reprennent et se relancent les uns les autres dans une assourdissante concordance des temps.

    “ Chez Valérie Mréjen, rien d’un quelconque exotisme sociologique ne vient distraire de l’évidente justesse du trait. Ses films courts et pointus ne prétendent pas s’arracher au réel en caméra portée, ni pourchasser l’excès aux confins des banlieues grimaçantes du social. Mréjen reconstitue patiemment, en plan fixes et réfléchis, en éliminant petit à petit toute trace documentaire d’un saisissement sur le vif, la vérité intemporelle d’un échange. Un événement pur qui a, au moins une fois pour chacun d’entre ses spectateurs, eu lieu. (4)” Ainsi des arts plastiques, dont l’artiste retient l’écume la plus mondaine, celle de la conversation lacunaire d’un vernissage imprécis, où se rencontrent des gens munis de projets indécis, retenus dans leur confidence par une tactique de la fatigue, de l’ennui et du silence : de tout ce vide, elle fait pourtant une œuvre vidéo, écrite, qui sonne terriblement vrai.

    …/….
    Edouard
    Oui

    Franck
    Tu as des projets?

    Edouard
    Oui.

    Franck
    Moi aussi. Je vais faire le tour, je n’ai rien vu encore.

    Jocelyne
    Bonjour

    Eric
    Bonjour

    Jocelyne
    Ça va? Qu’est-ce que tu fais?

    Eric
    Ben…ffff

    Jocelyne
    Moi je n’arrête pas!
    En ce moment, je prépare quelque chose, mais pour l’instant je préfère ne pas en parler.

    Eric
    Mmm

    Jocelyne
    Je te dirai si tu veux…

    Eric
    Ah oui, oui, préviens moi

    Jocelyne
    D’accord.

    Eric
    Merci.
    …/…

    Valérie
    C’était qui ?

    Eric
    Qu’est-ce que ça peut te faire ?

    Valérie (gênée et faussement détachée)
    Non mais, c’est comme ça, pour savoir.

    Franck
    Je ne t’ai pas vu hier !

    Christophe
    Où?

    Franck
    Au Blue Bar.

    Christophe
    Je n’étais pas au courant…

    Franck
    C’est dommage, j’avais plusieurs invitations.

    Christophe
    Oui, non mais, de toute façon, je n’aurais pas pu y aller.

    Chantal
    Je ne sais pas ce que j’ai, je suis fatiguée.

    Jocelyne
    Oui… Je crois qu’il fait orageux.

    Chantal
    Non mais moi, quand il y a trop de monde comme là, ça m’abrutit.

    Bon, allez, à tout à l’heure.

    Jocelyne
    Ouais, on va se croiser…

    Sophie
    C’est assommant ces mondanités.

    Scali
    Ah la la, je ne supporte pas.

    Sophie
    Moi c’est pareil. Je ne viens quasiment plus.

    Scali
    Salut ! (5)
    …/….

    Valérie Mréjen a été reçue au concours d’entrée de l’école des beaux arts de Cergy-Pontoise, après trois jours passés à errer dans la fac de lettres à la Sorbonne où elle s’était inscrite (dans l’espoir d’obtenir un diplôme lui permettant de passer le concours de la Fémis), et quelques temps passé aux beaux-arts de Paris, en auditeur libre “ J’avais envie de faire du cinéma, explique-t-elle, je me suis retrouvée dans une école d’art, j’ai eu envie d’écrire. J’avais la tentation d’expérimenter des choses par la parole, mais franchir le pas était insurmontable à l’époque. J’en suis venue à utiliser l’écriture par différents moyens détournés ”. Ses travaux d’école ressemblant à “ des sortes de calligraphies ”, utilisent des nervures de feuilles comme des signes typographiques. Elle fait un rideau en petits carrés de carton bouilli, alignés et attachés entre eux par de la ficelle blanche, un sac en lamelles de carton, également… Ce sont des installations en volume, faites de matériaux assez fragiles, “traduisant une tentative d’approche du langage, de la parole et de l’écrit mais à distance, en commençant par des travaux qui soient plus du côté tactile et visuel ” .

    Leurs professeurs ont essuyé les plâtres du machisme qui régnait en matière d’arts plastiques. Mais si les élèves à Cergy sont en majorité de sexe féminin, ce n’est pas pour autant qu’un enseignement critique sur le genre est prodigué dans les écoles des beaux-arts des années 1990. Associer fragilité et féminité constitue la mascarade habituelle qui permet de déposer toute interrogation sur la supposée différence des sexes, pour constituer la mièvrerie en art féminin. Ce qui déplaît fortement à Valérie Mréjen. Trouver son identité d’artiste, c’est d’abord rechercher : “ Une manière de parler des choses. Par exemple, des rapports de force dans une relation, que j’ai perçus d’abord dans ma famille et qui s’exprimaient de manière latente. Il existait une façon non dite de s’intéresser plus aux garçons qu’aux filles. Cela m’a d’ailleurs sans doute beaucoup aidée. Comme s’il était moins grave de faire une école d’art pour une fille, parce que je finirais de toute façon par me marier et que tout se remettrait en place. Je pense que dans ma famille, il s’agissait d’affirmer ma place par une sorte de ruse, par un moyen différent de la dénonciation ; d’avancer masquée et je crois que c’est ce qu’on retrouve dans mes travaux ”.

    Sa première exposition, à Mériel, dans le Val d’Oise en 1994, utilise des illustrations piquées dans le dictionnaire pour s’interroger sur le mot et la chose. Sa seconde à Châteauroux affiche un blason d’expressions toutes faites “ Comme on respire. Comme une reine. Comme un rat mort ”.

    Elle adopte alors le cut-up, processus sensoriel et littéraire inventé par Gysin et Burroughs, pour découper dans la matérialité du langage et y profiter de combinaisons hasardeuses : un outil à la fois tactile et visuel, matériel et inventif comme un collage en peinture ou un montage au cinéma. Elle l’adapte au matériau des noms propres. Ceux-là ne sont-ils pas la matière avec laquelle nous avons tous joué au Petit Lacan ? Roland Barthes se rappelait qu’il s’amusait avec “ Madame Lebeuf, Barbet-Massin, Delay, Voulgres, Poque (6)” tandis que Freud, s’inquiétant du mécanisme psychique de la tendance à l’oubli en 1898, se souvenait qu’il avait volontairement oublié le nom de Signorelli en cherchant l’auteur des fresques de la Cathédrale d’Orvieto… Valérie Mréjen se réjouit avec “ Monsieur Georges Berec, Messieurs Raymond Roussel et Madame Marcelle Prout ”. Il existe bien, dans une ville du Sud-Ouest, une rue Pierre Ménard…

    Cette matière, elle la trouve dans les annuaires téléphoniques, composant des messages en style télégraphique (encore la concision) accolant noms et prénoms à la queue leu leu : “ MON Roger BICHON Barthélémy BIEN Adélaïde ARRIVÉE Claudie OUF Alain ”.
    Valérie Mréjen explique ces travaux comme un loisir de diversion : “ je m’ennuyais ferme. Plutôt que de compter des grains de sable sur la plage (tache impossible, absurde et compliquée), je me dis que je pourrais lire l’annuaire. J’entrepris ce déchiffrage pendant plusieurs semaines (Paris, tomes 1 et 2) qui s’avéra riche et surprenant.(7)” Ordonnant le jeu en familles, elle regroupe en des catégories choisies – les parties du corps, les repères temporels, les animaux, les aliments, etc. — les noms propres qu’elle remarque, va chercher des supports, compose des phrases avec les noms, puis va rechercher et découper, de façon rudimentaire, l’emplacement de ces noms dans l’annuaire et coller — un peu à la façon des étiquettes de colonies de vacances sur le dos des vêtements d’enfant — les noms et prénoms sur des feuilles de même qualité recyclée, que le papier utilisé par France Télécom :

    Minus Jacob
    Couille Pierre Molle Didier
    Tu Jean-Michel Es Syaktra Un Sun33r (8) Pet Violeta De Wei Lapin Marcelle
    Je Chang Sup Te Leng Chie Etienne Dessus Noémi

    À lire ces successions et en repérer les prénoms, laissés apparents, la diversité ethnique de la carte de France apparaît bien plus fortement que sur les listes électorales. Quant aux noms de famille, outre le fait que le Je Chang Sup est réitéré autant de fois que la première personne du singulier le nécessite, on peut se demander dans quelle mesure ils ont été tronqués pour n’apparaître sous la forme du “ Tu ”, du “ La ”, ou du “ Un ”.

    Finalement, il n’y a rien de plus anonymes que les noms propres. Comme pour renforcer cet oxymore raisonné, elle entreprend de rédiger ou des petites annonces cochonnes, ou des messages stéréotypés dans un style télégraphique, qu’elle colle aux dos de cartes postales un brin “ datées ”, moins récupérables sur le plan de leur intérêt historique, ou de leur pertinence exotique juxtaposant de même les noms de Madame Gros et Monsieur Derche. Ainsi :

    GARS André, Fessu Michel Gros Agnes Bazar Jacky et Marie josé, Saute Robert, Poulette Andrée, Belle Eugène Paire Bernard De Lily Lolos Geo Dans Dominique La Pelkanj, Partie Michele Avant Dominique, De Ajit, Son Sanh, Camion Juliette

    Ou encore :

    Vieux Serge Sadique Mohammed Baisse Elisabeth Son Chantal Slip S Pour Maurice Faire Marthe Voir Angèle Son Bernard Kiki Simone Devant André Qui Alain-Tuan Veut David

    Ces séries de textes s’inscrivent dans un curriculum de publications et des expositions (chez Valentin, 1995, “ Liste Rose ”, Galerie du Jour, 1997), qui arrivent très vite au sortir de l’école (ce qui ne veut pas dire qu’elle en vit : Valerie Mréjen travaillera longtemps pour le Festival de cinéma de La Rochelle). Apparemment, la minutie et la lenteur des opérations, lecture d’annuaires, sélection de mots, composition, recherche et découpage des noms, mise en forme des listes etc, recommencés du fait d’un accident d’atelier qu’elle occupe avec un autre artiste, Nicolas Moulin, semblent bien plus fastidieux que le comptage des grains de sable, façon mythe de Sisyphe. Bref : “ On commençait à me dire : “ c’est toi qui fait les trucs avec les annuaires ! ” J’ai pensé qu’il était temps d’arrêter ”… Mon Grand-père, récit littéraire et les premières vidéos arrivent peu après. Valérie Mréjen, depuis les arts plastiques, opte pour d’autres travaux autour du langage, bifurquant sans élire un support de prédilection, “ Parce que je me suis rendue compte que la forme écrite était parfois plus appropriée pour ce que j’avais à dire. Parfois, en revanche, pour ce qui me semblait beaucoup plus axé sur la répétition, qui réclamait une mise en scène, des comédiens, la vidéo s’imposait. Lorsque j’ai réalisé que c’était la parole qui m’intéressait, le travail a pris différentes formes, puisque la parole constituait plus le sujet que le médium. ”

    À l’école des beaux-arts, certaines de ses expérimentations calligraphiques avaient viré à l’autobiographie : “ En troisième année, j’avais fait un travail où je reprenais le nom des gens de ma famille du côté de ma mère, qui étaient morts en déportation, par des alignements en pointillés de graines ”. À partir de ce travail, une visée se dégage, qui n’est guère axée sur l’anamnèse : il s’agit de narrer au grand jour des histoires familiales que tout le monde connaît, mais dont personne ne parle. Écrit dans la bibliothèque de l’école d’art de Glasgow, où elle était inscrite pour un “ Master of fine arts ” après son diplôme français, Mon grand-père — selon les dires, le nom du fichier dans l’ordinateur — fait valoir que la prise de parole est également une mise en place. Écrit à la première personne du singulier et principalement à l’imparfait, composé de brefs paragraphes, il détaille quelques couleurs, quelques motifs, quelques surnoms d’un roman familial à la chronologie et aux généalogies singulièrement déboussolées. Un paragraphe, un drame. “ Mon grand-père ” — ses maîtresses, ses épouses, “ Ma grand-mère ” ; “ Ma mère ” ; sa habitudes, sa mort. “ Mon père ”. Mais ces figures — “ Mon père ”, “ Ma mère ” — ne présument pas d’un triangle œdipien dans lequel le “ je ” occuperait un des coins. Nulle prescription ne vient se cacher derrière le récit des origines, pour dire la vérité du psychisme. Il n’y a pas d’autre vérité que celle qui s’énonce. Le plus fort, sans doute, de ce récit neutralisé et terrible, d’événements de l’enfance, est que jamais, il ne prédestine le paragraphe suivant et qu’il est donc infini, que tout reste à faire : comme si le roman, justement, familial inventait ses affects au cours de l’écriture. Louise Bourgeois a de même construit un roman familial qui n’est ni du côté du vrai, ni du côté de l’erreur, juste la mise en place d’une parole à soi, comme une chambre à soi, où personne ne viendra l’embêter pour lui demander : “ d’où tu parles ”.

    Si l’écriture décrit la parole, l’image la défait ou l’abêtit. Valérie Mréjen commence à s’inspirer, pour les voir représentés, de “ mal-entendus ” éprouvés par elle et connus de chacun, ces lieux communs qui se croisent sans se rejoindre et qui constituent “ des impasses dans des moments d’échange. Par exemple, quand on me posait des questions, auxquelles je ne savais vraiment pas quoi répondre : “ qu’est-ce que tu deviens ? ” ; “ quoi de neuf ? ”… Des paroles de la vie quotidienne qui me mettaient mal à l’aise, qui instauraient un désarroi dans la communication. Ou bien ces souvenirs pénibles : “ comment tu vas, ah bon t’es sûre que tu vas bien, mais t’as l’air fatiguée ” : des moments de vie, qui pour moi correspondaient à des malentendus. J’ai eu envie d’exploiter cette matière, d’en faire quelque chose, de la mettre en scène, d’essayer d’en dégager à la fois le comique, l’absurde et le vide ”… Ces premières vidéos datent de 1997. À l’époque Valérie Mréjen s’est acheté une caméra, avec ses premiers salaires.

    23 des 26 vidéos entre 1997 et 2004 fonctionnent sur le même principe. Ce sont des textes que l’artiste a écrits, même “ très écrits ”, sous forme de monologues ou de dialogues. De courtes pièces scénarisent des situations vues, entendues, rapportées ou vécues et confrontent deux ou trois personnages. Leurs relations entraînent immanquablement des rapports de force, des moments de gêne et de confusion, qui ne désavantagent pas véritablement le ou la plus faible et dégagent une paradoxale affection. Ainsi, dans Maïté et Philippe (1997), un père, assis en face de sa fille, chacun sur un fauteuil, lui demande si elle va bien, si tout va bien, si elle n’est pas un peu préoccupée en ce moment, s’il y a quelque chose qu’elle n’ose pas lui dire. Les questions se transformant en interrogatoire, c’est évidemment lui qui finit par craquer, que ça l’angoisse de la voir toujours faire la gueule, que ces questions c’est pour son bien, que ça le tracasse de la voir déprimée, qu’il la sent déprimée et tout ça se termine par une terrible déflation : “ ça va ? – Oui, je t’assure que ça va. – Ben tant mieux, c’est bien ”. Les questions sont vite devenues une petite agression ; la demande de franchise a ouvert grand les vantaux de la bêtise, la mise à la Question s’est transformée en remise en question et l’arroseur s’est arrosé lui-même. Comme l’a si bien noté Roland Barthes, la revendication du silence (le droit de se taire, de ne pas répondre, de ne pas écouter) est un moyen de s’opposer à la colère, l’affirmation, l’arrogance et tout ce qui réinstalle “ les modes conflictuels du discours ”. Par exemple, les adjectifs, qui servent à agresser l’autre. Et les adverbes. Comme: “ comment ça va ”.

    “Problème de conduite, modestement mais très bien posé par Kafka (Blanchot, L’Entretien Infini) : Kafka désirait savoir à quel moment et combien de fois, lorsque huit personnes sont en conversation, il convient de prendre la parole si l’on ne veut pas passer pour silencieux ; angoisse connue, je crois, de la plupart d’entre nous ; je dois dire quelque chose, n’importe quoi, sinon on va croire que je m’ennuie (et c’est pourtant vrai, etc.) Ici, le coût du signe est évalué : quelle quantité de répétitions faut-il pour constituer un signe – ou déjouer le signe adverse (je ne suis pas silencieux) ? (9)”

    Pour tenir la distance, sans virer au psychodrame ou au “ devenir “ Strip-Tease ” du récit social ”, selon le bon mot de Vincent Dieutre(10), Valérie Mréjen demande à des comédiens d’interpréter ces textes écrits. Ceux-ci, passant par une interprétation tierce, aboutissent après de nombreuses répétitions, à la même neutralisation par la parole, que celle travaillée dans l’écriture. Ces acteurs sont parfois des professionnels, qu’elle réussit à entraîner dans ses projets (une demi journée de temps de tournage, pas de budget, etc.). Ainsi Jean-Christophe Bouvet, qu’elle avait croisé à une projection et dont un ami producteur lui donne les coordonnées ; ou la mère de Jean-Christophe Bouvet, Paulette Bouvet, repérable dans les films de la bande à Vecchiali ; Tonie Marshall ou Michèle Moretti, contactées grâce à l’ami et complice de Valérie Mrejen, le poète et scénariste Stéphane Bouquet, alors critique de cinéma. Les relations en entraînent d’autres : l’actrice Denise Schröpfer, la dame d’Une Noix, que Valérie Mréjen avait vue dans un moyen-métrage, lui fait connaître Lucia Sanchez, laquelle lui fait rencontrer Jocelyne Deschverchère – l’interpréte de Jocelyne, 1998, qui décrit avec précision la mécanique laborieuse et vaguement dégoûtante d’un homme pas très attentionné dans le sexe ; on retrouvera ultérieurement ces deux dernières. Une sœur de Valérie, Aurore Mréjen, joue dans Michèle et Aurore, 1997. Pour Une Noix, c’est la copine d’Iris, fille d’une des amies de Valérie Mréjen, qui joue le rôle de la petite fille, sollicitée pour enregistrer sa chanson et qui n’y arrive pas, tant sa mère l’empêche par zèle excessif, de mener cette tentative jusqu’à ses fins, témoignant ainsi de l’inflexible rivalité que la mère manifeste avec sa fille. Couper le sifflet, ne pas s’écouter, mais s’asservir en commun à une lutte pour la répartition de la parole, et voilà une famille, livrée à sa jouissance perverse. “ Avec la première scène, écrit Barthes, le langage commence sa longue carrière de chose agitée et inutile. (11)”

    Pourtant, ni la psychanalyse, ni la sociologie sont convoquées dans cette tentative de mise à jour (à jouir) des biens communs de la sociabilité. “ Valérie, elle, ne pleure sur rien, pas même sur le monde de l’Art ; elle sait que ce serait par trop sous-entendre que tout n’est pas encore perdu, qu’une restauration est encore possible (voire un simple arrêt sur image). Mais non, si l’artiste s’acharne à désincruster ses vignettes d’un contexte socioculturel quel qu’il soit, c’est que cette hétérotopie sans date, réduite à la plus petite fiction commune, est devenu le dernier refuge du récit. Il ne suffit pas d’isoler un ready-made sociologique et de le diffuser au musée sur un moniteur en boucle ; pour que les petites unités finissent par éclairer le monde, la garantie documentaire ne sert de rien, il faut à Valérie en contrôler et la provenance (c’est arrivé près de chez elle) et la fabrication (ça se sent que c’est elle). C’est ça ou rien ”(12)

    La répétition évacue le comique vériste à la Deschiens comme il en évacue les symptômes. Les seules vignettes qu’on aimerait ici évoquer appartiennent au monde de Copi, à sa Femme Assise, laconique et solitaire. Chez Valérie Mréjen, une même femme assise, mais de face, sur un canapé se plaint du comportement de son mari, ou raconte quelques souvenirs. Des larmes de sang (2’ / 2000), La poire (45” / 2000) et Elisabeth (3’19” / 2000) compose une trilogie que Valérie Mréjen n’a pas écrite, mais dont les histoires proviennent de sa tante, Berthe Mrejen, celle-là même qui figure à l’écran, femme assise sur le canapé et qui raconte. “ Un jour mon père me raconte cette histoire des “ Larmes de Sang ”. Il imitait ma tante vraiment bien, j’ai trouvé ça très drôle et me suis demandée pourquoi ne pas lui proposer directement de la filmer. Je suis allée chez elle avec ma petite caméra, je lui ai demandé qu’elle me raconte cette histoire. On a fait un essai, plutôt pas mal, même si je me suis rendue compte en visionnant les rushes que ce n’était pas encore ca, mais comme ma tante s’est prêtée au jeu, j’ai répété avec elle et on a vraiment tourné comme si elle avait appris son texte et le récitait. En fait c’était la première fois que je travaillais avec quelqu’un sans avoir moi-même écrit l’histoire. Il s’agissait d’elle, de ses expressions, ses exagérations, sa façon très imagée de décrire les situations. À partir de cette petite série un peu différente, j’ai eu envie de travailler avec les gens autour de moi, que je connaissais. J’ai eu envie de leur demander de me raconter un vrai souvenir, une histoire personnelle, mais en travaillant avec eux comme avec des comédiens, en choisissant des éléments de l’histoire et en réécrivant avec eux, au fur et à mesure, d’une prise à l’autre. ”

    C’est ainsi que naissent les Portrais filmés, souvenirs racontés par une personne. Chacune est isolée (le “ portrait ” n’est pas de groupe). Le silence intervient avant qu’elle parle et après. Chacune est debout ou assise, dans un environnement plutôt désincarné, mais repérable quand même comme un intérieur, un appartement possible, grâce à un pan de mur, l’indication d’un coin, une colonne, un placard, un élément de cuisine ou de salon, un fragment de canapé : juste des témoins dans ce passage du réel à l’abstraction. Un portrait chez Valérie Mréjen, c’est un buste, toujours à mi-corps, aux mains invisibles ou bord-cadre ; pas seulement un visage. La plupart des portraits, ce n’est pas anodin, sont des gens de son âge, ils paraissent son âge, la trentaine ou un peu plus. Les adolescents ont grandi et ce qu’ils racontent n’appartient plus forcément au monde de l’enfance “ générique, hors génération […]. L’enfance comme catégorie face à l’adulte comme genre (13)”, mise en scène, muette et butée, dans les vidéos précédentes. Personne ne s’attendrit plus ; le ressentiment n’est pas de mise.

    Car le souvenir est devenu texte, comme les propres livres de Valérie Mréjen. En une quinzaine de prises, l’histoire supposée personnelle de chaque personne a été transformée. Parfois du fait des interventions de l’artiste. “ Pas toujours énormément, j’apporte des éléments, par exemple, s’il y a une chute à la fin, ou une phrase qui va servir de conclusion, en général je préfère que ça reste ouvert, donc je dis que c’est mieux d’arrêter avant. Je suis attentive à ce que les mêmes mots ne soit pas répétés, à des points précis qui évitent le côté trop parlé, comme enlever les hésitations ”. Surtout, en répétant à de nombreuses reprises une même histoire, celle-ci sort de l’inné pour devenir acquis, un texte appris plutôt qu’un texte émis, un souvenir maîtrisé, un événement défait, détaché de l’émotion du premier récit, de l’originel, comme on dit. En cela les portraits filmés de Valérie Mréjen font dériver les autoportraits photographiques de Cindy Sherman : ce sont des copies sans originaux.

    Aux États-Unis, telle une amoureuse qui cherche à consommer son désir sans trouver d’endroit pour pouvoir le satisfaire, une jeune femme transbahute son petit frichti, banane, sandwich, pomme, de place en place et se réfugie, finalement, à la bibliothèque publique . C’est là que tous les jours, en catimini, elle puise dans son sac les aliments convoités et les mange au vol, à la volée. En Argentine, la mère d’une autre jeune femme voit son tour arriver pour organiser une réunion Tupperware, quand soudain, son mari, le père de la jeune femme, meurt : le moment tant convoité de sociabilité féminine aura inexorablement lieu. Un homme raconte qu’un jour, il s’est senti très heureux, qu’il a écrit “ je ne crois pas en Dieu ”, enroulé l’inscription dans un tube d’aspirine et l’a enterré dans le jardin. Une jeune femme a découvert un jour qu’elle détestait son père et qu’elle a organisé tout un système de remparts, pendant les repas, pour ne pas recevoir le moindre postillon provenant de celui-ci, qui l’aurait empêché de continuer de manger. La même, vêtue d’une autre couleur, décrit un autre souvenir, etc. Dans tous ces Portraits filmés, la personne est devenue personnage dans sa propre fiction : chacune a été capable d’inventer au moins une histoire, d’avoir en mémoire ou en imagination, un souvenir digne d’intérêt, digne de relation. Il s’en dégage l’ampleur d’un secret partagé, l’éclat d’une anecdote, qui ne s’encombre d’aucune amplification métaphorique, mythologique ou tragique : ni Œdipe, ni Médée, ni Cendrillon. À la dimension du plan de l’image, les personnages sont devenus de grands acteurs. Comme l’énonce Barthes dans sa préface aux Fragments d’un discours amoureux : “ Tout est parti de ce principe : qu’il ne fallait pas réduire l’amoureux à un simple sujet symptomal, mais plutôt faire entendre dans sa voix ce qu’il y a d’inactuel, c’est-à-dire d’intraitable (14)”.

    C’est là, que la démarche de la vidéaste rencontre le cinéma. La Défaite du rouge-gorge, court-métrage tourné en 16 mm, dont le scénario a été écrit par Valérie Mréjen en collaboration avec Stéphane Bouquet, reprend en partie l’argument de l’Agrume, publié en 2001 et en même temps qu’elle tournait les premiers Portraits filmés. Anachronisme et inactualité. L’Agrume écrit, à la première personne, l’“ histoire tragi-comique d’une relation avec un homme qui ne l’aime pas, mais aime bien les gaz d’échappement, lave tous les matins ses lunettes au Paic citron, lui pose sans cesse des lapins et finit un jour par ne plus l’appeler (15)”.

    “ Il accompagnait ses descriptions de mouvements des mains pour figurer l’effilement du tuyau d’arrosage, l’ouverture d’un couvercle ou d’une barquette de BigMac. Pour les sensations gustatives, il plissait légèrement les yeux et frottait doucement le bout de ses doigts comme s’il venait de manger un feuilleté et voulait se débarrasser des miettes. Un jour, il avait eu une révélation en buvant du jus de truffe. Il me parlait des gâteaux de sa grand-mère, des cookies achetés aux Halles et des biscuits de la mère Poulard. Une fois, j’ai rêvé que nous prenions un train en compagnie de son amie. Elle lui montrait des variétés de gâteaux pour attirer son attention. Bruno marchait, complètement ébahi par ces trouvailles. Il poussait des petits cris “ooh, ooh” en hochant la tête. (16)”
    .
    La Défaite du rouge-gorge, un film à trois personnages (principaux), Lucie, Bertrand et Pierre, compte une vingtaine de plans, presque tous (sauf un) fixes. Lucie a rencontré Bertrand dans une bucolique réunion d’amis. “ Il est mignon ? ”, demande son copain Pierre, “ tu es amoureuse ? ”. Le fil conducteur du film, qui semble être cette histoire d’amour “ agrumeuse ”, néologisme évoquant le récit littéraire sus-cité, pourrait bien être la persistance, la persévérance, dans chacun des plans, d’un aliment (ou d’une boisson) différents – y compris dans la seule scène sexuelle du film, signifiée par des soupirs “ off ” qui consiste en un gros plan de pamplemousses, emballés dans du papier de soie décoré d’un cœur. Chaque plan, en effet, convoque différentes formes et éléments de nourriture, qu’il s’agisse de buffet, de café, de restaurant ou de concombre, de chocolat, de boule au rhum, pâte d’amande, pain rassis, glace, de déjeuner raté ou de confiture de grand-mère prétexte à ne pas se déplacer “ alala je ne peux pas venir, c’est trop bon ”, pour finir sur le recyclage cathartique d’un sac en plastique, objet rejeté — comme Lucie — qui retrouve sa dignité en devenant un tableau encadré. Et quel est le motif de ce sac plastique “ trop moche ”, pour Bertrand ? Des fruits, raisin et ananas, traités de façon hyperréaliste. Ce n’est sans doute pas pour rien que Valérie Mréjen, interrogée par les Inrockuptibles sur ce que pourraient être ses Mythologies nouvelles, façon Roland Barthes, le retour, désigne “ Le tube de dentifrice mou ” et les “ aliments à ouverture facile” . L’aspect légumineux des personnages se trouve ainsi objectivé. Et pourquoi les personnages masculins au cinéma, comme en littérature devraient-ils toujours être actifs ? Et pourquoi les personnages féminins devraient-ils s’intéresser à des personnes qu’elles séduisent vraiment ? Pourquoi, de fait, l’amour devrait-il être toujours payé d’un même, éternel, retour ?

    “ Artiste invitée ”, durant une résidence au Fresnoy, Studio national des arts contemporains, Valérie Mréjen a eu l’occasion de pouvoir tourner un film avec un budget proposé par l’école, sur un an, un temps assez court, mais utilisable pour réaliser un court-métrage : frustrée de ne pas avoir utilisé certains souvenirs qui lui avaient été racontés, qu’elle avait trouvés intéressants mais qui ne fonctionnaient pas en vidéo, elle décide d’en faire un film, Chamonix (du nom du gâteau éponyme). De nouveau, face à la caméra, neuf personnages racontent chacun un souvenir. Sauf que Chamonix est tourné en studio et en 16 mm : un dispositif qui amène d’emblée une plus grande distance, augmentée encore par la construction de décors, qui remplacent les appartements habités où ont eu lieu, précédemment, les tournages des Portraits filmés. De simples panneaux de bois, aux proportions d’un appartement témoin, permettent cette fois de travailler lumières et couleurs, de façon à n’indiquer que des éléments d’architecture : les décrochements, les murs, les ombres… De sorte que Valérie Mréjen perçoit Chamonix, comme la “ version fiction des Portraits filmés. Il n’y a que deux personnes dans le film qui racontent leur propre histoire, Kiko, le Madrilène qui a été également décorateur sur le film et Charles Pennequin, le dernier des neuf (il raconte une irrésistible poursuite de sa femme en voiture), le seul d’ailleurs qui improvise un peu. C’est un écrivain, il a l’habitude, il a rejoué son histoire en “ live ”. Ce qui me plaisait bien dans Chamonix, c’est que s’est constituée une équipe, avec un sentiment d’équipe : il y a des membres de l’équipe dont l’histoire est racontée par d’autres. La photographe de plateau et la régisseuse, toutes deux étudiantes, ont également joué dans des plans tournés à la fin, car il nous restait du temps et de la pellicule ”.

    Comme l’amour dans le Rouge-Gorge, le souvenir dans Chamonix est ainsi rendu à une personne fondamentale qui est le je. Un je qui met en scène une énonciation et non une analyse. Le portrait n’est pas “ psychologique ”, il est “ structural ”… Il énonce une subjectivité détachée de toute antériorité. “ Dans la psychanalyse, l’amour est toujours un écran pour autre chose. Il n’existe pas pour lui-même, en lui-même. Il n’est pas une création de relations, de sentiments, de discours, et donc de subjectivité. Il est le symptôme d’une subjectivité déjà produite et doit être rapporté à une cause, qu’il faut retrouver. (17)” On pourrait dire la même chose de tout souvenir. Se défaire de ces causalités est l’enjeu de l’art comme de la littérature, tels que Valérie Mréjen, désormais, les installe. Eau sauvage, livre écrit durant son séjour à l’Académie de France à Rome (2003), prend ainsi la forme d’un dispositif particulier, celui d’un dialogue à une voix. Celle du père, qui répète, de paragraphe en paragraphe, son souci d’entrer en communication avec sa destinataire, laquelle a choisi de s’absenter du texte. L’adresse, tranchée en une succession de fragments, se rend de plus en plus envahissante à mesure que le texte rend compte des soucis, curiosités, admonestations du père. Comme Gertrude Stein, dans l’Autobiographie d’Alice B. Tocklas, Valérie Mréjen a écrit pour que papa parle par sa voix. Dans ses autres récits, le “ je ” pouvait prétendre parler à sa place. Cette fois, le “ je ” et le “ tu ” s’intervertissent comme si, au plan du tableau, le point de vue se substituait au point de fuite. Car l’écriture, comme l’image, nécessitent un dispositif, qui fournit un plan, au-delà d’un écran, au regard et à l’écoute.

    Ce dispositif, le cinéma lui en a fournit le modèle sémiologique ; de chacun des fragments, elle dit avoir voulu qu’il “ ressemble à un plan de cinéma, mais qu’en même temps, qu’il y ait ce côté très étrange d’un seul plan. Je voulais trouver un cinéma d’une durée plus proche du souvenir, du flash, de quelque chose qui revient, qui soit comme un refrain ”. Il faut prendre au sérieux la notion de plan, c’est à dire s’amuser avec la polysémie du terme. Un Plan. Pas un plat. Un Plan love, un Plan sexe. Un plan est à la fois ce qu’on laisse… en plan et l’anticipation d’une succession d’actions pour atteindre un but, c’est-à-dire un certain état final visé du monde.

    Ainsi en est-il de Dieu, titre de travail donné à quelques Portraits filmés en Israël, où Valérie Mréjen a commencé d’aborder la question de l’incroyance et de la laïcité, véritable acte politique dans un monde cerné par les retours de Foi. Mais ceci est une autre histoire.

    _________________

    1. Gus Van Sant en dialogue avec Todd Haynes, “ Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles ”, in Chantal Akerman, Autoportrait en cinéaste, Paris, Centre Pompidou/Cahiers du Cinéma, 2004, p. 180
    2. Les propos en XXX, sauf mention autre, sont extraits de conversations avec Valérie Mréjen ou proviennent des transcriptions ou descriptifs de vidéos et de films fournis par elle.
    3. Vincent Dieutre, notes de programme pour Valérie Mréjen au Festival Côté Court de Pantin, 2001, p 47
    4. Ibid.
    5. Blue bar / 2’47” / 2000 avec Scali Delpeyrat, Jocelyne Desverchère, Vincent Dieutre, Franck Gourlat, Edouard Levé, Chantal Osterreicher, Valérie Mréjen, Sophie Planet, Christophe Prébois, Eric Savin, Véronique Varlet
    6. Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Seuil, Coll. “ Écrivains de toujours ”, 1975, p. 55.7. Valérie Mrejen, in Le Travail de l’art, n° 1, 1997, p. 60-97.
    8. Le découpage, parfois, laisse apparaître le numéro de la rue.
    9. Le Neutre, Roland Barthes, cours au collège de France, 1977-78, Paris, Seuil Imec 2002, p. 55
    10. Vincent Dieutre, op.cit.
    11. Roland Barthes, Fragments du discours amoureux, Paris, Seuil 1976, p. 243.
    12. Vincent Dieutre, op.cit.
    13. Vincent Dieutre, op. cit.
    14. Roland Barthes, Fragments, op. cit., p. 29.
    15. Frédérique Deschamps, Malice au pays des merveilles, Libération, 9 avril 2002.
    16. Valérie Mréjen, L’Agrume, Paris, Allia, 2002, p. 11-14
    17. Jacques Lebrun, Le Pur amour, de Platon à Lacan, Paris,Seuil, 2002, p. 289-340. Cité par Didier Eribon, “ … chez les Grecs ou comment se défaire de la psychanalyse ”, Colloque Amour de la philosophie, philosophie de l’amour, Bruxelles, 14-15 novembre 2002.

    by Élisabeth Lebovici

    A head pops out from nowhere. Against the black screen, a silhouetted egg-like shape starts to speak, admonish and reprimand:

    “So, what’s up?
    What have you been up to lately?
    What do you say?
    What are you doing at the moment?
    What can you tell me about you?
    You’re not doing anything fancy at the moment, are you?
    You’ve got nothing to talk about, have you?
    Right?
    You’ve got nothing interesting to talk about, have you?
    Nothing planned?
    You’ve been up to nothing?
    You’re not an extraordinary person, are you?
    You’ve never done anything special, actually.
    Nothing to talk about.
    Nothing to say.
    You’re really a prick.
    You’re really not worth much.
    Not interesting at all.
    You never do anything special.
    You only do plain things, in fact.
    And a lot of those things you do are crappy.
    You really disappoint me, you know.
    I’m sure you do trivial things.
    I’m sure you do dull, boring, uninteresting things.
    Quite narrow-minded of you, don’t you think?
    You gross me out.
    You’ve got nothing to talk about.
    You’ve got nothing to say.
    Loser.
    Scum.
    Wimp.
    I knew it.
    I don’t know why I even bother asking you every time I see you.”

    Valérie Mréjen, “Bouvet ”, 1997.

    Bouvet, Valérie Mréjen’s first video, was made in 1997. It seems to be aimed directly at those viewing it and to scold, chide and humiliate them in an increasingly violent and slightly overdone fashion, in order to induce a response. But there is no response and the address – a rhetorical series of questions – states that what we’ve got here is a speech laden with power and contempt: “You’ve got nothing to say so keep your mouth shut”. However, doesn’t a speech claiming victory lose it right away by expressing it so rudely? (cf. The Dictator). As in an election speech on TV, the message is not to be heard in a full-frontal manner. It is to be watched above all. One can see it, and a sense of distance takes root in this gaze cast upon speech. Even if the soundtrack lets out increasingly accurate insults poured out of fountain-like mouths – and indeed, the image of this face might resemble a fountain – the shot remains still. Self-assured, the matador waves his red cloth made of words. But he is alone and no bull will dash for his decoy. The only battle he is involved in is fought on the screen, for the screen, and thus on the level of the screen.

    To me, this feature, this theme – in the musical meaning of the word – composed of variations and repetitions, connects the work of Valérie Mréjen (born in 1969) to both artistic and cinematic inspirations; historic bonds that she appropriated in order to escape them more easily and thus be able to wander freely about her own stories. On the one hand, Bruce Nauman has showed us that the clown screaming “NON” in his installations will never be saved by us – whether his head be upside down or properly set on his shoulders – and that two lovers speaking to us cannot hear each other. The work (of art) has nothing to do with relationships. On the other hand, when in Une sale histoire Jean Eustache has two different characters, Jean-Noël Picq and Michael Lonsdale, repeat in turn the same first-person narrative, he adds up a comical touch to the first-person speech (du “jeu” dans le “je”) and expresses the plainness of an adventure while depicting its uniqueness. Cinema is not a sublimation. Thirty years later, Nauman’s work (which she does not refer to) just as Eustache’s or Chantal Akerman’s first movies (which she refers to) are duly mentioned in the yearbooks of masterpieces.

    However, nothing could be more remote from Valérie Mréjen’s work than the somewhat pompous tone in which those statements and comparisons are made here. The peculiar aspect of her work makes its way concealed behind the seemingly plain surface of an everyday chronicle, behind a mask. In her works, events meaningless to the viewer yet cataclysmal to the persons involved in them are depicted without ever being handled as casework or as mysteries likely to be solved through psychological or sociological analysis. “Dialogues are events occurring exclusively between two characters talking to each other; they are not addressed to the viewer as is usually the case (…) and in this the dialogue is similar to life. The viewer is actually watching life itself”, a paradoxical life reminiscent of Gus Van Sant’s statement about Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles by Chantal Akerman. (1)

    The language used here consists in a series of minor events going wrong. For instance, a mother chiding her teenage daughter: … “You should put yourself on a diet, you know. You’re starting to get a little fat, it’s too bad. I’m saying this for your own good. And you should also try to dress better. Look at you, you’re dressed like bum! You don’t know what suits you. I’m saying this because I love you, because I want you to look pretty, to feel good”… (Michèle et Aurore, 1997, 2’ starring Michèle Moretti and Aurore Mréjen). In Anne et Manuel, 1998, 2’15” starring Anne Consigny and Manuel Mazaudier, a young man keeps yelling at his girlfriend about a handful of peanuts: … “Oh my god! I can’t believe it! You’re so hopelessly clumsy! – Will you help me please! – Well, uh… I’m not sure I can. You’ve just called me clumsy, so…– ffff… It came out like that, I’m sorry I said that. You know I didn’t mean it! – You’re so literal-minded, you silly… – Come on, help yourself, you whimper!”… (« ah là là ! c’est pas vrai ! quelle incapable ! – tu peux m’aider s’il te plaît ! – oui ben, je sais pas, tu viens de dire que j’étais une incapable alors…- ffff… ça m’a échappé, je retire ce que j’ai dit, tu sais bien que je ne le pense pas – tu prends tout au pied de la lettre toi, hein imbécile… – bon allez, sers-toi, mauvaise tête! »…). But because she lets him speak does not mean he has the power: passive resistance.

    Maybe this strict will to avoid any spectacular effect is to be understood as a consequence of Valérie Mréjen’s approach concerning her works between 1994 – when she graduated from the Fine Arts Institute – and 2004. The short and even very short format has now become a trademark of her prose texts, videos, filmed portraits and published writings. This very book[1] beas witness to her fondness for concision since a whole dialogue spreading on XXX or XXXX scenes is here reduced to x pages thanks to the insertion of one, two, three or four photograms. The length of the videos never exceeds 4 minutes and three seconds – duration of the longest – and can be as short as 45 seconds. The 14 memories cinematically hinted at by different people in the first Portraits filmés do not last longer than 13 minutes 30 seconds (Portraits filmés, 2002). The later Portraits (2003) seem to carry on the same sense of transience, if we may use such a paradox. Her movies (La Défaite du rouge gorge, 2001, lasting 23’Chamonix, 2002, lasting 13’) undoubtedly belong to the conventional species of short-feature films. Her published narratives amount to 64 printed pages in Mon grand-père (1997), 80 in L’Agrume (2002) and 92 in Eau sauvage (2004). Her writing is rooted in the same search for concision: “One idea per sentence, avoid rambling” (2).

    The image itself is quite laconic too: each of these portraits and scenes consists most often in a single real-time sequence-shot not even edited afterwards. The camera is still, the scene accurate. The character(s), sitting or standing are captured at mid-height. The upper part of the body appears on the screen, the lower part is most often out of frame. Chairs, seats, couches – many couches, actually, often cut out by the framing – and tables, laid out or not, are the only and rare mobile items in a quite shallow setting: wall, painted wall, wall and wallpaper, wall and light switch come along with the human beings on the screen. A person is worth a shot, a shot is worth a person who speaks and remains silent.

    The outlines of the films are dryly worded in one or two sentences. An old lady keeps repeating the same formula over and over: “au revoir, merci, bonne journée ” (Au revoir, merci, bonne journée with Paulette Bouvet). In a kitchen, a lady asks questions to a young boy – probably her son, though their link is not clearly stated – about his vacation: did you have a good time? (Tonie et Etienne / 1’40” / 1997). A young lady relates a sensuous night (Jocelyne, 1998). A young girl has invited some friends over for a tea party but only one of them shows up and the afternoon gathering immediately turns into an embarrassing face to face (Le goûter 4’03” / 2000, starring Mireille Roussel and Jérémie Elkaim). Three girlfriends get together over a table to put pen to paper about their common project for the future (Le Projet / 1’54” / 1999, starring Anne Consigny, Jocelyne Desverchère and Lucia Sanchez). A man complains about a woman he is somehow connected to, Huguette. His grievances are reiterated six times in a row (Huguette, 3’08”, 1998). A girl cannot help uttering the overused word “sympa” (equivalent of “nice”) (1’10”), another one gets upset about “des trucs” (“stuff”) (1’30”).

    This surgical precision is not exactly useless. First because it emphasizes a common feature that states a difference. Though extremely short, her works are far from being mere sketches (or anything suitable for the “film test” category), or fragments to be extended or magnified elsewhere. Nor do they take after the extreme conciseness typical of a Haiku, an aphorism, or a popular maxim. They have nothing to do with the journalistic practice so dear to art critic and anarchist activist Félix Fénéon with his “ brèves en 3 lignes ” (3 line news flash); nor with the theatrical skit or the folk singer’s performance, since there is no final twist or epilogue that would undoubtedly add a cathartic dimension to the work. Here, concision is not conceived as a virtuoso skill. It acts as a bond linking and weaving the different entries of a work that has as much to do with “film”, as with “artistic video”, “short story”, or “narrative”. The thing is, the transition from one genre to another inextricably entangles the chronological order.

    Having sworn allegiance to non-conformism as regards these categories – art, cinema, literature –Valérie Mréjen assuredly shares with other artists, film-makers, writers from her generation this rejection of a favorite medium. After all, one must prevent artistic disciplines from remaining isolated; one must fight against the sacralization of their role in order to understand in a collective manner what creation is all about and what is at stake in art today. Some encounters are to be invented: take by way of illustration, Dutch artist Rineke Dijkstra’s portraits of Israeli soldiers, Thai film-maker Archipatpong Weerasethakul’s feature film Blissfully Yours, Belgian photographer Michel François’s pictures, Japanese film-maker Naomi Kawase, British artist Sarah Lucas’ installations, Gillian Wearing’s series of pictures shot on the street (“I’m desperate”..), choreographers La Ribot and Jérome Bel’s dancers, Scottish film-maker Bill Douglas’s somber trilogy all belong to these swinging motions Valérie Mréjen likes to refer to. Indeed, according to Vincent Dieutre (3), Valérie Mréjen refuses to draw the outline of the borders she trespasses, thus shaking out of their mold all the “internal” discourses typical of each discipline and forcing art critics to wander off on a dazzling path like erring hoboes. Their subsequent confusion is strongly felt here in their inability to define clear plots and to unravel the narrative thread of books, videos and films that keep referring to each other and echoing one another in a deafening tense-matching masquerade. and

    “In Valérie Mréjen’s work there is no sociological exoticism spoiling the obvious accuracy of the style. Her short and sharp films do not claim to extract themselves from reality thanks to a hand-held camera, nor to chase out excessiveness until the sneering outskirts of the social world. Through the use of still and reflexive shots, Mréjen gradually erases any trace that could betray the striking immediacy of the documentary genre and thus patiently recreates the timeless truth of a human exchange. A spotless and pure event that each viewer has experienced at least once.”(4)

    Thus, the artist drains visual arts of their deep matter to retain only their most mundane scum, that of hollow and fragmentary conversation, where people with fluctuating plans meet and remain locked up within their own aloofness thanks to a strategy drawing on tiredness, boredom and silence: out of all this void, she manages to produce filmed and written artworks that sound dreadfully true.

    …/….
    Edouard
    Yes

    Franck
    Do you have any plans?

    Edouard
    Yes.

    Franck
    Me too. I’m gonna have a look around. I haven’t seen anything yet.

    Jocelyne
    Hello

    Eric
    Hello

    Jocelyne
    How are you? What are you doing at the moment?

    Eric
    Well…Uh

    Jocelyne
    I have been so busy lately!
    I’m in the process of setting something up, but I’d rather not talk about it for now.

    Eric
    Mmm

    Jocelyne
    I’ll keep you posted, if you want…

    Eric
    Oh yes, please do

    Jocelyne
    All right.

    Eric
    Thanks.
    …/…

    Valérie
    Who was it?

    Eric
    None of your business

    Valérie (embarrassed, feigning detachedness)
    I was just asking out of curiosity.

    Franck
    I didn’t see you yesterday!

    Christophe
    Where?

    Franck
    At the Blue Bar.

    Christophe
    I didn’t know about it…

    Franck
    Too bad. I was invited at several other places, you know.

    Christophe
    Really? Well, yeah, no… I couldn’t have made it, anyway.

    Chantal
    I don’t know what’s wrong with me, I feel so tired.

    Jocelyne
    Yes… Maybe it’s because of the stormy weather?

    Chantal
    I don’t think so. It’s just that when it’s too packed – like here – it makes me numb.
    Ok, see you in a few.

    Jocelyne
    Yeah, I’m sure we’re gonna bump into each other…

    Sophie
    All this snobbish small talk is making me sick.

    Scali
    Oh my god, I can’t stand it!

    Sophie
    Same here. I barely show up anymore.

    Scali
    Hi! (5)
    …/….

    Valérie Mréjen passed the placement examination of the Fine Arts Institute of Cergy-Pontoise (greater Paris area), after wandering for three days in the Department of Humanities of La Sorbonne – where she registered in hopes to attain a literature degree allowing her to take the placement test of La Fémis – and attending courses at the Fine Arts Institute of Paris for a little while without being officially enrolled, “I wanted to work in the field of cinema, she explains, but I landed in an art school and felt like writing. I was tempted to experiment things through speech but at that time I was utterly scared to step across the line. I ended up resorting to the written word in indirect, nearly hidden, ways.” Reminiscent of “some kind of calligraphies”, her school assignments feature plant veins used as typographic signs. She makes a curtain out of tiny squares of paper mache lined up and linked to each other by white string, and also a bag made of thin cardboard layers… Hers are voluminous installations, made out of quite fragile material, “conveying an attempt to approach language, speech and the written word while keeping a distance by beginning with rather tactile and visual works.”

    At the time when Mréjen enrolls at the Fine Arts Institute of Cergy, teachers have already overcome the machismo inherent to visual arts. But because most students attending that training are female does not necessarily mean that all fine arts schools in the 1990s emphasize a critical teaching of gender issues. The usual masquerade consists in confusing fragility with femininity so that any question can be handled in the light of the so-called gender differences and mawkishness established as womanly art. And this infuriates Valérie Mréjen. Finding one’s identity as an artist implies above all searching for: “a way to word things. For instance, a way to word power struggles in relationships, a phenomenon I first sensed – expressed latently – within my family. There was an unspoken tendency to pay more attention to boys than to girls. That situation must have been quite beneficial to me, I guess. As if, somehow, it was not that bad for a girl to attend an art school because she would manage to get married one way or another and then everything would get back to its right place. Within my family I had to assert my own self by resorting to a kind of trickery, a means other than denunciation; I had to wear a mask and I think this has perspired into my work.”

    In her first exhibition, held in the town of Mériel in the Val d’Oise county (greater Paris area) in 1994, she uses illustrations nicked from the dictionary to ponder over the word and the thing. Her second exhibition, in Châteauroux, displays a series of ready-made phrases such as “Comme on respire. Comme une reine. Comme un rat mort.”

    Then, she turns to the “cut-up” technique, a sensorial and literary process born from Gysin and Burroughs’s minds and designed to cut out pieces from the material aspect of language and to take advantage of chancy combinations: a visual, material and inventive tool, like collage in painting or montage in film-making. She adjusts it to the material provided by surnames and family names. After all don’t they constitute the matter with which we all used to play Lacan charades? Roland Barthes recalled how he used to have a good laugh with “Madame Lebeuf, Barbet–Massin, Delay, Voulgres, Poque”(6) while Freud – concerned with the psychic mechanism underlying behind lapses of memory in 1898 – remembered that he had willingly forgotten the Signorelli’s name when trying to bring back to his memory the author of the frescos in the Orvieto Cathedral… Valérie Mréjen amuses herself with “Monsieur Georges Berec, Messieurs Raymond Roussel et Madame Marcelle Prout ”. And there actually exists a town in South-western France that has a street called “rue Pierre Ménard”[2]

    She draws her raw material from phone-books and composes terse, wire-like messages – again, out of desire to be concise – bracketing names and surnames in long single lines: “MON Roger BICHON Barthélémy BIEN Adélaïde ARRIVÉE Claudie OUF Alain”.

    Valérie Mréjen defines these works as time-killing leisure activities: “I was severely bored. Instead of counting sand grains on the beach – impossible, absurd and complicated task – I thought: “hey, why don’t you read the phone-book?” So I undertook this deciphering, which kept me busy for several weeks (Paris, volumes 1 and 2). The task proved fruitful and astonishing”.(7) Classifying the game into happy families, she files the names that stick out into determined categories – body parts, temporal landmarks, animals, foods etc. –, finds material, composes sentences with the chosen names, and then roughly cuts out the spot where they are printed in the phone-book and sticks them – the way summer camp labels were stuck on the back of children’s clothes – on recycled paper similar to the one used by France Telecom:

    Minus Jacob
    Couille Pierre Molle Didier
    Tu Jean–Michel Es Syaktra Un Sun33r (8) Pet Violeta De Wei Lapin Marcelle
    Je Chang Sup Te Leng Chie Etienne Dessus Noémi

    When reading those patronymic chains and looking closely at the first names, one notices the ethnic diversity inherent in the French territory way better than on election boards. The family name “Je Chang Sup” is repeated over and over every time the artist needs to use the first-person pronoun “Je” (“I”). Concerning other family names, one wonders how exactly they were truncated to appear as “Tu”, “La”, or “Un”.

    Ultimately, we find out that there is nothing more anonymous than personal names. As if she wanted to emphasize this oxymoron, Valérie Mréjen starts to write dirty and quite stereotyped ads in a morse-like style and to stick them on the back of slightly old-fashioned post-cards devoid of all historic interest and exotic relevance, though. For instance, she juxtaposes Madame Gros and Monsieur Derche (“gros derche” meaning “fat bottom” in French). Another good example is:

    GARS André, Fessu Michel Gros Agnes Bazar Jacky et Marie josé, Saute Robert, Poulette Andrée, Belle Eugène Paire Bernard De Lily Lolos Geo Dans Dominique La Pelkanj, Partie Michele Avant Dominique, De Ajit, Son Sanh, Camion Juliette

    Or else:

    Vieux Serge Sadique Mohammed Baisse Elisabeth Son Chantal Slip S Pour Maurice Faire Marthe Voir Angèle Son Bernard Kiki Simone Devant André Qui Alain-Tuan Veut David

    These texts belong to a series of published works and exhibitions (chez Valentin, 1995, “Liste Rose”, Galerie du Jour, 1997), held very shortly after the artist’s graduation from art school. However, this early success is not enough for Valérie Mréjen to earn a living thanks to her art. She has to work for the Festival de cinéma de La RochelleMon Grand-père, and her first videos. From the sphere of visual arts where she moves about, Valérie Mréjen decides to focus on language-oriented works, branching off without choosing a favorite discipline, “because it occurred to me that the written word was sometimes more adapted to what I had to say. However, at other times, with works revolving around repetition, requiring some staging and actors, video had to be resorted to. When I realized that speech was what interested me at the utmost, my work evolved: speech became the topic rather than the medium.”

    for quite a long time. The phone-book pieces require an extremely slow and tedious work – reading phone-books, selecting words, composing, researching and cutting names, setting up lists etc. On top of that, she has to start all over again due to an incident at the workshop she shares with another artist, Nicolas Moulin. And in the end, after such a Sisyphean twist, this process seems to become way more laborious than counting sand grains. In short: “people started to tell me: “hey, you’re the one doing stuff with phone-books!” I told myself it was time to quit”… Soon afterwards, she produces a literary narrative,

    When she was in art school, some of her calligraphic experiments turned into autobiographical works: “During my third-year there, I did an assignment in which I traced the names of some of my relatives (on my mother’s side) who had died in concentration camps in little rows of lined-up seeds”. This work tends towards an aim that has nothing to do with anamnesis: it is about casting light upon family stories known by all but told by none. Written in the library of the Glasgow School of Art – where she had enrolled in a Master of Fine Arts after attaining her French degree – Mon grand-père, named after the computer file, according to the artist, depicts speech as a way to lay things down. A first-person narrative mostly in the preterit tense, divided into short paragraphs, this piece contains a few hues, a few patterns, and a few nicknames taken from a chronologically and genealogically twisted family novel. One drama per paragraph. “Mon grand-père” – his mistresses, his wives – “Ma grand-mère”; “Ma mère”; her habits, her death. “Mon père”. However, one should not see these figures – “Mon père”, “Ma mère” – as part of an oedipal triangle with the “I” nestled in one of its corners. Behind the tale of the origins, there is no hidden rule demanding that the psychic truth be told. No truth other than the spoken one. The best aspect of this neutral yet dreadful narrative about childhood memories is that it never anticipates the next paragraph. This way, it becomes a never-ending piece and everything remains yet to be done. It nearly feels like the family novel is inventing its emotional implications as it is being written. Louise Bourgeois also constructed a family novel that neither leans on the side of truth nor on that of falsehood but merely lays down the author’s own speech, like a room to herself, a place where no one will ever come disturb her and ask: “where do you speak from?”

    If the written word describes the spoken word, the image undoes or debases it. Valérie Mréjen starts to draw her inspiration from misunderstandings experienced by her and known to all: commonplaces that cross each other without ever actually meeting, “dead-ends spoiling moments of exchange. For instance, when I was asked questions I had no clue how to answer: “What do you do now?”; “What’s up?”… Everyday words that would make me feel uncomfortable because they introduced some sort of helplessness into the communication. Or those embarrassing memories: “How are you doing? Really? Sure you’re OK? Because you look exhausted, you know”. Slices of life that I did perceive as misunderstandings. I felt like using this raw material, like creating something out if it, staging it, trying to extract the comical, the absurd and the emptiness out of it”… Those first videos date back from 1997. At that time, Valérie Mréjen bought a camera with money she saved from her first wages.

    Out of the 26 videos made between 1997 and 2004, 23 are based on the same principle. They are monologues and dialogues written – even “very written” – by the artist. Those short pieces turn situations seen, heard, related or experienced into staged scenes involving two or three characters. From their relationships, power struggles inevitably arise, embarrassing and confusing moments inescapably occur without really putting the weaker one at a disadvantage, though. And a paradoxical affection oozes from those exchanges. In Maïté et Philippe (1997), a father is seated in front of his daughter, both of them in an armchair. He asks her if she is doing fine, if everything is OK, if she hasn’t had too much on her mind lately, if there is something she doesn’t dare to tell him. As the questions turn into a real cross-examination, he ends up – not surprisingly – letting all out, confessing that seeing her brooding all day long worries him a lot, swearing that he asks those questions for her own sake, that it bothers him to see she is depressed, that he feels she is depressed. The worst is that his tirade eventually falls flat: “Are you OK? – Yes, I swear I’m all right. – Ah, fine then. ” The questions have soon turned into a minor aggression; eager to spark off frankness, the father paved the way to foolishness, anxious to question his daughter, he ends up questioning his own behavior, caught at his own game. As Roland Barthes brilliantly stated, claiming silence (the right to keep one’s mouth shut, not to answer, not to listen) is a means to fight against anger, affirmation, arrogance and everything that re-embeds the “conflicting modes of speech”. For instance adjectives used to harm the other. And adverbs. Or ready-made phrases such as: “comment ça va ”.

    “Issue relating to social manners, modestly but very well raised by Kafka (Blanchot, The Endless interview): Kafka wanted to know when and how many times, when eight persons were having a conversation, one should speak in order to avoid being judged too quiet; an anxiety most of us have already experienced; I must say something, anything, otherwise people are going to think I am bored (and yet it is true, etc.) Here, the cost of the sign is estimated: which amount of repetitions does one need to create a sign – or outsmart the opponent’s sign (I am not quiet)? (9)”

    In order to keep the distance, without gliding into a psycho-dramatic piece or “turning into a “Strip-Tease” of the social narrative”, as Vincent Dieutre wittily worded it (10), Valérie Mréjen asks actors to enact those written texts. The latter, filtered by a third-party’s interpretation, achieve – after many rehearsals – the same neutralization through speech as the one obtained with the written word. Sometimes she manages to drag professional actors into her lame plans (only half a day of shooting, no budget etc.). Among them Jean-Christophe Bouvet whom she met at a screening and whose number and address she was given by a producer friend of hers; and also Jean-Christophe Bouvet’s mother, whose presence you can notice in films by Vecchiali and his buddies; Tonie Marshall or Michèle Moretti, with whom Valérie Mrejen got in touch thanks to her boyfriend and accomplice script-writer and poet Stéphane Bouquet, who used to write film reviews back then. Those relationships lead to other ones: actress Denise Schröpfer, the lady in Une Noix, whom Valérie Mréjen had seen in a medium-length film, introduces her to Lucia Sanchez who has her meet Jocelyne Deschverchère – the actress embodying Jocelyne (1998) who describes with much detail the tedious and slightly disgusting machinery of a sexually thoughtless man; the last two ones will feature in other later films. One of Valérie’s sisters, Aurore Mréjen, plays in Michèle et Aurore, 1997. In Une Noix, a girlfriend of Iris’s, one of Valérie Mréjen’s friends’daughter, plays the part of the little girl asked to record her song but failing to do so because of her excessively zealous mother’s inhibitive behavior, bearing witness to the inflexible rivalry of the mother towards her daughter. Interrupting one another, not listening to each other but getting enslaved, all together, to a struggle for speech-sharing: This family is wallowing in its own perverse jouissance. “Right from the first scene, Barthes writes, language begins its long career as restless and useless phenomenon.” (11)

    However, neither psychoanalysis, nor sociology are solicited here in this attempt to update the common goods of sociability. “Valérie, weeps over nothing, not even over the world of Art; she knows doing so would ineluctably imply that all is not lost, that things can still be restored (or at least held in a frozen frame for a while). But if the artist strives to rid her images of any socio-cultural background, it is because this immemorial heterotopia, reduced to the least common fiction, has become the last place where the narrative can find shelter. You can not just set a sociological ready-made aside and display it in a loop on a screen within a museum. It just is not enough. If, one day, she wants to see all the little isolated entities enlighten the world, Valérie should not count on documentary objectivity: it would be powerless. She must absolutely control the origin (closeness) and the making (feeling) of her art. It’s the only way. ” (12)

    By resorting to repetition, Mréjen ousts the naturalistic humor embodied by French comedians “Les Deschiens” and evicts its symptoms. The only images we are reminded of here belong to the world of Copi, to his laconic and lonely Femme Assise (Woman Sitting). In Valérie Mréjen’s work, a similar figure, a woman sitting on a couch – full-front, though – complains about her husband’s behavior and recounts painful memories. The trilogy composed of Des larmes de sang (2’ / 2000), La poire (45” / 2000) and Elisabeth (3’19” / 2000) was not written by Valérie Mréjen but told by her aunt, none other than the lady on the screen sitting on a couch and telling the stories the film is made from. “One day, my father was telling me this story about the “Larmes de Sang” (“Bloodtears”). He was really good at imitating my aunt and I found the story hilarious. I thought to myself I should film her directly. I went to her place with my tiny camera and asked her to tell me this story. We did a film test that turned out pretty good even though when viewing the rushes I realized that we were not quite there yet. But my aunt being extremely cooperative, we rehearsed the scene and finally shot it as if she had learned her text by heart and was reciting it aloud. Actually, it was the first time I worked with someone without writing the story myself. It was all about her, her phrases, her emphases, the graphic way in which she described situations. After creating this slightly different series I grew anxious to work with the people around me, people I knew. I wanted to ask them to tell me a true memory, a personal story while working with them as with actors, making up the basis of the narrative and reshaping it bit by bit while shooting the takes.”

    This is how the Portraits filmés series came to life, those memories told by a single person. Each figure is an isolated entity (we are not dealing with a group “portrait” here). Silence pokes into before and after the protagonist has spoken. Sitting or standing in a setting that, although rather dehumanized, still appears as the inside of a home, possibly an apartment. A wall, a barely visible corner, a pilaster, a closet, a piece of kitchen or living-room furniture, a sofa fragment: the presence of these objects bears witness to the carefully crafted switch from reality to abstraction. Valérie Mréjen always composes her portraits in the same way: a bust, a body cut at mid-height, hands invisible or on the edge of the frame; more than a mere face. Most of her portraits – and this is not fortuitous – depict people the same age as her, namely in their early thirties. The teenagers have grown up and their discourse no longer belongs to the world of “generic, ungenerational childhood […] “considered as a category as opposed to the adulthood seen as a genus”, (13) a childhood staged as muted and stubborn in the artist’s previous videos. No one plays smoothie anymore. And there is no room for resent.

    Indeed, the memory changed into text, just like the books written by Valérie Mréjen did. In about fifteen takes, the originally personal and non-fictional stories recounted by the characters are utterly transformed. Sometimes after the artist’s own intervention. “Not always that much in fact. I only introduce a few components. For instance, if there is a final twist or a closing sentence I generally remove it so as to leave the narrative open. I put a lot of efforts in avoiding to repeat words, in erasing details that sound too oral, like hesitations.” Most importantly, when a story keeps being repeated over and over, it ultimately migrates from the innate to the acquired and becomes a text memorized rather than uttered, a tame memory, a deconstructed event, distanced from the prime emotion ingrained in the original narrative, l’originel as they say in French. In this, Valérie Mréjen’s filmed portraits are like a distortion of Cindy Sherman’s filmed self-portraits: they are copies devoid of originals.

    The scene is set in the United States. Reminiscent of a lover eager to yield to her desire but failing to find the place where to do so, a young woman humps along her little snack – a banana, a sandwich, and apple – from place to place and eventually finds shelter at the public library. Day after day, she comes here and draws from the depths of her bag the lusted-after foods to wolf them down in one go. Another portrait takes us to Argentina, where the mother of another young woman is excited because her turn is coming to organize a Tupperware meeting. But her husband –the young woman’s daughter – suddenly dies. However, the o so longed-for womanly social gathering takes place no matter what. A man relates that one day he was overwhelmed by a feeling of happiness and wrote “je ne crois pas en Dieu” (“I do not believe in God”) on a piece of paper, rolled it into an aspirin tube and buried it in his garden. A young woman realized one day that she hated her father and had developed an elaborate protection system to shield herself from the least sputter emanating from him during the meals since this would have left her unable to eat further. The same woman – dressed in another color – relates another memory, etc. In all these Portraits filmés, the person has become a protagonist of his/her own fiction: each one of them managed to invent at least one story, to nurture in his/her memory or imagination a recollection worth telling, worth linking to others. From all this emanates the deep sense of a shared secret and the glow of an anecdote that goes free of any metaphorical, mythological or tragic amplification: no Oedipus, nor Medea, nor Cinderella. On the scale of the image size the characters have become great actors. As Barthes states in the preface of his Fragments d’un discours amoureux: “It all started with this principle: that one should not reduce the lover to a mere symptomal subject but rather let the non actual – that is to say unrelenting –(14)

    This is where video-making meets cinema. La Défaite du rouge-gorge – a 16 mm short film written by Valérie Mréjen in collaboration with Stéphane Bouquet – partly echoes the theme explored in L’Agrume, published in 2001 while Mréjen was shooting her first Portraits filmés. Anachronism and non-currentness. A first person narrative, L’Agrume is the “tragic-comical account of a relationship between her and a man who does not love her, but likes exhaust fumes, cleans his glasses with detergent on a daily basis, keeps standing her up and finally stops to call.” (15)

    “He illustrated his depictions with hand gestures, miming the sprinkle hose, the opening of a lid or a Big Mac box. To express sensations linked to taste, he would slightly close his eyes and rub his finger tips as if he had just relished a slice and wanted to get rid of the leftover crumbs. One day he tried truffle juice and had an epiphany. He would ramble about his grandmother’s cakes, the cookies from the mall and the Mère Poulard biscuits [3] . Once, I dreamed I was on a train with him and his girlfriend. She was showing him different types of biscuits to catch his attention. Bruno was totally buying into it, enraptured by all these findings. He kept nodding and uttering small shouts: “ooh, ooh.”” (16)

    La Défaite du rouge-gorge, a film featuring three main characters, Lucie, Bertrand and Pierre, is composed of about twenty shots, all still but one. Lucie met Bertrand during a friendly gathering in the countryside. « Il est mignon ? » ( “Is he cute?”), her boyfriend Pierre asks, « tu es amoureuse ? » (“You’re in love?”). The leading thread of the movie, seemingly this « agrumeuse » love story – a neologism referring to the above mentioned narrative, “agrume” meaning “citrus fruit” –, could be the persistency to insert into each shot a different food or drink. Even in the sensuous scene, the artist makes a close shot on some grapefruit wrapped in tissue paper with a heart-shaped pattern, and out-of-frame moans signal what is going on. Indeed, each shot includes different shapes and foodstuffs, whether a buffet, some coffee, a restaurant, a cucumber, some chocolate, some rum-flavored ice-cream, some marzipan, stale bread, ice, a disastrous lunch or some grandma-made marmalade keeping one stuck at home « alala je ne peux pas venir, c’est trop bon » (“Oh my God, I can’t come right now, it’s just too tasty”). The film ends on the cathartic recycling of a plastic bag, an object abandoned by all – like Lucie – which is eventually granted a new dignity when made into a framed picture. And guess what’s printed on this plastic bag that Bertrand finds « trop moche » (“ugly as hell”)? Fruit, grapes and pineapples depicted in a hyper-realistic fashion. And it is clearly not fortuitous that during an interview with French rock magazine les Inrockuptibles, when asked what her new mythologies would be made of – echoing Roland Barthes and his “return” – Valérie Mréjen replied « Le tube de dentifrice mou » (“the soft toothpaste tube”) and the « aliments à ouverture facile » (“easy-open foodstuffs”). Thus the character’s vegetable-like appearance is objectivized, made apparent. Why do male characters in cinema and literature always have to live for action? Why do female characters only show interest for persons they can truly seduce? This said, why should love always imply the same eternal return?

    Valérie Mréjen was granted an artist’s residency at the Fresnoy, National Studio for Contemporary Arts, and a scholarship to shoot a film within a year. Though a rather short period, one year proved long enough to produce a short film. Frustrated because she had to cut out some of the memories she had been told, she decided to make a film out of them, Chamonix (named after the French cake). Again, facing the camera, nine characters tell one memory each. However, Chamonix is shot in a studio and 16 mm film, which necessarily implies a greater distance, further increased by the use of constructed settings instead of the inhabited apartments where the previous Portraits filmés were shot. Plain model-apartment sized wood-panels allow to play with lights and hues, so as to show only some selected architectural elements: setbacks, walls, shadows… So much so that Valérie Mréjen describes Chamonix, as the “fiction-like version of Portraits filmés”. In this film, only two persons tell their own true story: Kiko from Madrid, who also worked as a set decorator for this movie, and Charles Pennequin, the last of the nine characters, who recounts how he couldn’t resist car-chasing his wife and is the only one actually improvising a little. Being a writer, he is used to it, he just had to act his own story in “direct live”. What I found particularly enjoyable in Chamonix, is the team that came to life spontaneously, pervaded with a true team spirit. Some of the team members’ stories are told by others. The still cameraman and the assistant director – both students – also acted during scenes we shot at the end because we had some film and some time left.”

    Like love in Rouge-Gorge, in Chamonix memory (remembrances) is thus given back to a fundamental person: the “I”. And this “I” utters an enunciation, not an analysis. The portrait is not “psychological” but “structural”… it enunciates a subjectivity disconnected from any kind of anteriority. “In psychoanalysis, love is always described as a screen concealing something else. It has no life of its own, either for itself or within istelf. It is not a force that creates relationships, feelings, discourses and therefore subjectivity. It is merely the symptom of an already-lived subjectivity and it must be re-connected to a cause one has to find back. (17)” A similar comment could be made about any type of memory (remembrances). Freeing oneself from causality is the supreme aim at stake in art and literature as seen and constructed by Valérie Mréjen. Written during her stay at the Académie de France in Rome (2003), Eau sauvage is shaped in a singular fashion, a single-voice dialogue. The voice is that of the father who keeps expressing paragraph after paragraph his desire to get in touch with his addressee (a woman) who has chosen to remain outside the text. His address, cut in a series of fragments, grows more and more oppressive as the text reveals the father’s issues, inquisitive features and admonitions. Like Gertrude Stein, in The Autobiography of Alice B. Tocklas, Valérie Mréjen writes to let Daddy speak through her own voice. In her other narratives, the “I” could claim to speak for her. But this time, the “I” and the “you” switch as if, on a painting, the view-point took the place of the vanishing-point. Indeed, both the written word and the image require a structure that provides –beyond the screen – a space for the eye and the ear.

    Cinema provides the semiological model for this structure; Valérie Mréjen says she wanted each of these fragments to “resemble a cinema shot, while having this weird single-shot feeling. I wanted to reach a cinema closer to memories or flash-backs as far as duration was concerned, something recurrent, like a chorus”. One should not underestimate the idea of shot, meaning one should play with the polysemy of the word. A shot. Give it a shot. Stand shot. A cheap shot. A lucky shot. A hotshot. A big shot. element in his voice be heard.”

    That is what Dieu (God) is all about. So Valérie Mréjen named a few portraits shot in Israel, where she started to focus on the difference between non-belief and secularity, a truly political act in a world threatened by faith coming back in wicked ways. But this goes beyond the scope of this essay.

    _________________

    1.Gus Van Sant during a conversation with Todd Haynes, “Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles ”, in Chantal Akerman, Autoportrait en cinéaste, Paris: Centre Pompidou/Cahiers du Cinéma, 2004, p. 180. (My translation)
    2. Unless otherwise specified, the statements symbolized by the sign XXX, come from conversations with Valérie Mréjen or from transcriptions or descriptions of videos she provided.
    3.Vincent Dieutre, written statement about Valérie Mréjen published in the program of the Côté Court festival in Pantin (greater Paris area), 2001, p. 47. (My translation)
    4. Ibid. (My translation)
    5. Blue bar / 2’47” / 2000 starring Scali Delpeyrat, Jocelyne Desverchère, Vincent Dieutre, Franck Gourlat, Edouard Levé, Chantal Osterreicher, Valérie Mréjen, Sophie Planet, Christophe Prébois, Eric Savin, Véronique Varlet.
    6. Roland Barthes par Roland Barthes, Paris: Seuil, Collection “Écrivains de toujours”, 1975, p.55. (My translation)
    7. Valérie Mrejen, in Le Travail de l’art, n° 1, 1997, pp. 60-97.
    8. The street name appears on some of the cut-up pieces.
    9. The Neutral, Roland Barthes, Lecture at the Collège de France, 1977-78, New York City: Columbia University Press, 2005, p. 55.
    10. Vincent Dieutre, op.cit.
    11. Roland Barthes, Fragments du discours amoureux, Paris: Seuil, 1976, p. 243. (My translation)
    12. Vincent Dieutre, op .cit. (My translation)
    13. Vincent Dieutre, op. cit. Enfance “générique, hors génération […]. L’enfance comme catégorie face à l’adulte comme genre” (My translation).
    14. Roland Barthes, Fragments, op. cit., p. 29. (My translation)
    15. Frédérique Deschamps, Malice au pays des merveilles, Libération, April 9, 2002. (My translation)
    16. Valérie Mréjen, L’Agrume, Paris: Allia, 2002, pp. 11-14. (My translation)
    17. Jacques Lebrun, Le Pur amour, de Platon à Lacan, Paris: Seuil, 2002, pp. 289-340. Quoted by Didier Eribon, “… meet with the Greeks or how to free oneself from psychoanalysis”, Colloquium entitled Amour de la philosophie, philosophie de l’amour, Brussels, November 14 and 15, 2002. Original version of passage quoted in the text: « Dans la psychanalyse, l’amour est toujours un écran pour autre chose. Il n’existe pas pour lui-même, en lui-même. Il n’est pas une création de relations, de sentiments, de discours, et donc de subjectivité. Il est le symptôme d’une subjectivité déjà produite et doit être rapporté à une cause, qu’il faut retrouver. » (My translation).

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    [1] Lebovici refers to the book from which this essay is extracted.
    [2] Pierre Ménard is a contemporary French experimental poet
    [3] La Mère Poulard is a French baking company producing and distributing biscuits and traditional cookies from Le Mont Saint-Michel.

     

     

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